La réforme : mission impossible


CharnineLifeWishBowl.jpgTravailler contre le voeu de la nature est peine perdue. (Sénèque)

La réforme de l’éducation, telle qu’entendue par l’État, ne saurait réussir. Pas plus que le mouvement Stoppons la réforme. L’éducation ne se prête guère aux décrets. Et c’est tant mieux. L’uniformité, à la longue, est stérile. Cela vaut tant pour la reproduction des espèces que la dialectique. Le plus grand mérite de la réforme aura été de secouer le milieu de l’éducation. Pour le reste, les professeurs dans les classes font bien à leur tête.

Je le vois tous les jours autour de moi. Hormis les contraintes du bulletin, les méthodes pédagogiques changent inégalement, au gré des croyances personnelles. Certains se campent dans leurs habitudes ou leurs préjugés, tandis que d’autres disent composer avec la réalité; plusieurs encore ont la ferme conviction d’être modernes parce qu’ils suivent les consignes du nouveau programme de formation. Heureux ceux qui donnent libre cours à l’esprit de réforme et à l’expérimentation pédagogique.

L’unanimité devient impossible dès lors que les approches pédagogiques foisonnent. On n’y peut rien. L’éclectisme s’est fermement installé dans les écoles.

La diversité des pratiques préserve les élèves de la tyrannie des dogmes. Plusieurs dénonceront l’inefficacité du désordre; j’y vois plutôt un milieu dynamique qui reflète celui auquel les jeunes sont aujourd’hui confrontés. De cette diversité, par ailleurs, jaillissent des observations, des comparaisons, des discussions et une réflexion professionnelle plus riches au total pour les enseignants que les quelques formations sporadiques offertes par les gestionnaires.

Une vraie réforme, après tout, ne saurait subsister très longtemps sans entretenir un zeste de chaos. En s’incrustant, elle nie son essence même et appelle une autre réforme.

Je m’engage peu dans les débats à caractère politique. D’autres le font mieux que moi. Ma pratique m’oblige à des choix difficiles. Les mots, de toute façon, semblent avoir bien peu de résonance dans les faits. Je m’intéresse davantage aux mèmes, cette force implacable qui anime le progrès. En surface, le vent a peu d’emprise sur les mouvements tectoniques.


(Image thématique : Life in a Wish Bowl, par Samy Charnine)


Par ricochet :

Changer ou périr

Réforme ou évolution de éducation ?

Libérer les programmes

L’école engendre-t-elle la résistance au changement ?

Le point sur la réforme

Étude : les écoles échouent dans l’application des réformes

Le chaos appliqué à l’éducation

La réforme achoppe aussi auprès des élèves

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18 réponses

  • Clément Laberge dit :

    Remarquable texte. La sérénité efficace…

  • Beaucoup de matière à cogiter dans ce billet… Ce week-end, j’occuperai mon esprit à y réfléchir.

    En plus, c’est très agréable à lire! Bien écrit.

    Merci beaucoup!

  • Clément et Patrick… you make my day!

    Il suffit d’un commentaire de ceux qu’on estime pour nous immuniser contre les détracteurs.

  • Excellent texte. « Lucide » tout en ouvrant des voies inéressantes.
    Juste une petite nuance: « L’unanimité devient impossible dès lors que les approches pédagogiques foisonnent. On n’y peut rien. L’éclectisme s’est fermement installé dans les écoles.La diversité des pratiques préserve les élèves de la tyrannie des dogmes. »
    Oui le diversité est bonne, mais il faut que l’assemblage des approches, méthodes et outils ait une certaine cohérence. Sinon les élèves peuvent écoper dans les cas d’approches ayant des attentes contradictoires. Il faudrait revenir un jour sur le mème qui est un concept clé dans le processus de changement en profondeur
    Personnellement, je crois aussi que les passionnés sont les phares de l’amélioration de l’école,
    J’en parle d’ailleurs dans le numéro de décembre de la Revue Notre-Dame disponible gratuitement dans les caisses pop dès la semaine prochaine.
    Claude Paquette

  • Claude à raison de nuancer mon propos en soulignant l’importance de la cohérence dans la diversité. Cette cohérence fluctue toutefois au gré des forces en présence, mais jamais autant qu’on le souhaite. Les enseignants tentent tant bien que mal d’établir une sorte d’harmonie au fil du quotidien, ne serait-ce que pour s’adapter au changement.

    Cela dit, la vraie cohérence ne peut se faire que dans la collaboration, un élément qui fait tristement défaut en éducation. Non pas que les enseignants y soient tout à fait réfractaires, mais le temps et les ressources manquent affreusement. La réforme au Québec roule actuellement avec une jolie carrosserie sur un vieux châssis. On n’a modifié ni les environnements d’apprentissage, ni le cadre organisationnel de travail. Les pro-réformistes s’organisent comme ils peuvent, à vau-l’eau.

  • La cohérence entre les intervenants qui oeuvrent avec les mêmes élèves est une recherche d’harmonie, une cohésion relative. C’est important, mais sensible et souvent difficile.
    Mais il y a aussi la recherche d’une cohérence personnelle (fidélité progressive et souvent chaotique de soi à soi). En intervention éducative, cela me paraît être éthiquement essentiel. Quand on interroge les adolescents sur les profs qui les marquent, cet trait caractéristique revient très souvent. C’est pourquoi on ne peut appliquer avec efficience ce qui semble attaquer nos valeurs de référence.
    Les réformes standardisées ne tiennent pas compte de ce facteur. On prétend plutôt que ceux qui n’adhèrent pas doivent tout simplement s’adapter.
    La cohérence doit aussi se retrouver chez celles et ceux prêchent pour révolutionner l’école tout en donnant aux enseignants des cours magistraux pour « la leur faire apprendre ».
    La cohérence totale n’existe jamais chez quelqu’un ou dans une organisation. Mais il y a une différence entre l’ignorer ou la rechercher progressivement comme un grand idéal de vie.

  • Billet très lucide qui a le mérite de faire la lumière dans la confusion que vit présentement le monde de l’éducation.

    Par contre, ce propos me heurte:
    « De cette diversité, par ailleurs, jaillissent des observations, des comparaisons, des discussions et une réflexion professionnelle plus riches au total pour les enseignants que les quelques formations sporadiques offertes par les gestionnaires. »

    Un petit mot pour dire que les messagers font parti de la même centrale syndicale que celle des enseignants.

    Je ne sais pour ta commission scolaire, je ne connais pas sa culture. Ce que je sais, c’est que nous sommes pleins de bonnes volontés, mais nous travaillons comme nous pouvons avec des conditions très peu favorisantes. À titre d’exemple, il est difficile de former convenablement lorsqu’il faut dessouffler la « baloune » de la machine à rumeurs bien entretenue par les médias.

    Chez-nous, les orientations en matière de formation continue sont prises en gestion participative. Mais nous avons, tout comme vous, à composer avec des classes très hétérogènes.

    J’accepte en partie le blâme, comme un entraineur d’une équipe de hockey qui doit expliquer une défaite de son équipe. Mais, je n’étais pas sur la patinoire et j’ai eu très peu de temps pour bien jouer mon rôle de « coach-adjoint » lors des entraînements…

  • Martin : François a pourtant bien raison. Les formations ont été (et sont encore) sporadiques ET ELLES NE DONNENT ABSOLUMENT RIEN!

    Même les formations que nous avons reçues comme CP. Dans deux jours, on ira « se former » à Laval. Or, depuis le début de ces formations nationales que je décrie leur inefficacité. Diable,on nous passe des tonnes de feuilles de différentes couleurs, on nous demande de remplir des tableaux ridicules, on bla-bla tout ça avec d’autres collègues et on repart dans nos CS avec la commande de redonner le tout à des profs. Ça, c’est un vrai gâchis national.

    Mais tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. On se la ferme, et vogue la galère.

    C’est sans doute cela notre plus grand problème, depuis le début de la réforme : nos silences béats.
    Le plus bel exemple, c’est ce silence inexplicable des DG, des DSÉ et de nous, CP, suite aux propos et aux commandes de la Ministre.
    Autre exemple : la quasi disparition des compétences transversales et les domaines généraux de formation… C’est dans le programme, mais absolument plus personne n’en parle depuis que quelqu’un à quelque part a décrété que les écoles pouvaient en choisir UNE à APPRÉCIER dans tout le primaire… Qui donc s’est élevé contre la chose ?

    On revient aux bonnes vieilles valeurs solides : les notes dans un bulletin, la matières et les dictées. Et tu veux savoir quoi? TOUT LE MONDE IL EST CONTENT. C’est moins de travail pour nous, pédagogues (ouf! plus de transversale), moins de travail pour les administrateurs (une note, c’est tellement simple) et les parents sont heureux de savoir que les médias sont contents…

    Mais où sont donc les enfants?

  • C’est très vrai ce que tu nous dévoile aujourd’hui… en tant qu’étudiant, je peux confirmer que, heureusement selon moi, aucun prof n’a la même méthode d’enseignement. Je dit heureusement car, pour qu’une journée à se faire tourner les neuronnes soit bonne, il faut, toujours selon moi, qu’une des quatre personnes qui nous enseigne le fasse de la manière qui convient à notre cerveau et à notre dévellopement.

    Car je me pose cette question: Une personne intelligente, très intteligente, à qui l’École ne convient pas, c’est malheureux pour elle, mais que pouvons-nous faire? Dans notre pays, les écoles sont là pour diffuser le savoir. Mais dans d’autres pays, l’école n’existe pas: ce n’est pas qu’il n’y a pas de système d’éducation, c’est que celui-ci se fait différemment…

    Bon… je sais que c’est mal formulé, mais c’est comme ça que c’est sorti, donc…

    En tout cas, superbe article qui sonne comme de la poésie dans ma tête! Bravo!

  • Félix GG a écrit : «Car je me pose cette question: Une personne intelligente, très intelligente, à qui l’École ne convient pas, c’est malheureux pour elle, mais que pouvons-nous faire?»

    Réponse : Une réforme de l’éducation, justement.

  • J’avais très bien compris le propos de François et il me semble que mon propos converge avec le tien Gilles.

    Ce que je dis, c’est qu’en tant que conseiller pédagogique, avait-on les conditions gagnantes? Doit-on être uniquement imputable de ce soit-disant « gâchis »

    Je suis aussi d’accord avec toi! Ce n’est pas parce que l’on participe à la « Grand Messe » du Renouveau pédagogique 2 fois par année, que nous avons ce qu’il faut pour bien travailler; et ce qu’il nous faut, c’est du temps.

    Ce que j’ai aussi voulu dénoncer, c’est qu’il fallait me battre sur deux fronts: Celui de relativiser l’ensemble de l’information concernant l’implantation du Renouveau pédagogique, en plus de m’attaquer à des convictions pédagogiques profondes (enseigner et faire réaliser des apprentissages semble parfois incompatible lorsque je questionne les représentations des enseignants avec qui je travaille) et celui de former en lien avec ledit Renouveau pédagogique.

    Je ne sais pour toi, mais je suis passablement essoufé! C’est peut être pour cette raison qu’il m’arrive de garder un silence béat!

  • Depuis mon plus récent commentaire, je commencerai par remercier Claude d’attirer mon attention sur l’idée d’une « cohérence personnelle ». J’aime beaucoup, d’autant plus que cela rejoint la notion de professionnalisme.

    Par ailleurs, je m’étonne de l’irritation de Martin. Il ne me vient pas à l’esprit d’inclure les RECITs et les conseilleurs pédagogiques parmi les gestionnaires. Il est vrai que gestionnaire est un terme plutôt large. De ce que j’en sais, leur pouvoir décisionnel sur la structure de la formation professionnelle est plutôt mince. Peut-être même est-ce là un des éléments qui contribuent au problème.

    Je crois que Martin met le doigt sur un gros bobo quand il se dit « essoufflé ». Non seulement je ressens la même fatigue, mais je l’entends exprimée tout autour de moi, particulièrement par ceux qui croient en la réforme. Le changement en éducation est en train de perdre ceux qui portent le changement, ces « phares de l’amélioration de l’école », comme le dit Claude. Sans phares, le navire va s’échouer.

    Naturellement, je suis reconnaissant à Gilles de sa franchise. Encore une fois. Personne ne sait mettre les choses noir sur blanc comme lui. Chaque fois qu’il intervient, j’ai envie de lui donner l’accolade.

    Enfin, je suis content que Félix ait présenté le point de vue d’un élève. Félix est d’ailleurs l’un des blogueurs de l’école qui s’avère le plus constructif dans ses commentaires. Je m’étonne seulement qu’il ait été si négligent sur la forme, lui qui soigne habituellement tant sa langue ;-)

  • Jean Trudeau dit :

    Tristes constats.

    «Mission impossible», «silences béats», «essoufflement», «gâchis national»…

    Seriez-vous en train de baisser les bras et de battre en retraite en vous réfugiant sagement dans vos classes devant la vague conservatiste réactionnaire?

  • Irrité! Pas vraiment! Plutôt agacé. C’est qu’une majorité d’enseignants ont tendance à croire que nous faisons partie du même panier de crabes des gestionnaires sous prétexte que nos bureaux sont contigus. Je voulais apporter cette précision :-)

    Pour ce qui est de la vague conservatrice réactionnaire, je n’ai rien d’un Don Quichotte… D’ailleurs, comment combattre une vague?

    J’essais de demeurer Zen.

  • @ Jean T.: Simple question de survie, peut-être. Il vient un temps où l’énergie consacrée toujours à sens unique, contre un système qui s’organise parfoi drôlement efficacement) finit par vraiment démotiver, miner, épuiser.

    Un burnout avec ça ? Non merci !

    Je n’ai pas dit que j’en étais personnellement rendu là, mais ça se constate chez certains enseignants, alors je présume que la question de la survie peut parfois passer au premier plan tout simplement…

  • Jean, je ne sais pas si je baisse les bras.

    Je pense qu’il faut jouer notre rôle et prendre les responsabilités qui nous incombent. Pour moi, CP, c’est la formation des enseignants. Or cette formation, à mon avis, est un échec total.

    Deux choix possibles
    - on fait comme si de rien n’était (ce qui est apparemment la solution privilégiée)
    - on se relève les manches, on tente de trouver, dans un esprit de co-construction, les solutions qu’on est prêt à essayer ENSEMBLE.

    Or co-construire est très complexe, demande patience et persévérance et une grande confiance dans la nature humaine.

    Voici une proposition possible :
    - On stoppe immédiatement la réforme ;
    - On demande aux enseignants intéressés à modifier leurs approches (donc passer du paradigme de l’enseignement à celui de l’apprentissage) de se manifester.
    - On débloque des $$$ pour accompagner, former et appuyer ces enseignants
    - Et « hope for the best » i.e. on espère que cela fera éventuellement boule de neige.

    Autrement dit, aidons les gens qui VEULENT un changement, et n’investissons pas d’énergie chez les intervenants qui ne sont pas intéressés par le paradigme de l’apprentissage. Donc, commençons par travailler avec ceux qui croient profondément que l’école doit changer.

    On pourrait appeler cela : plan de formation nationale volontaire.

  • J’adhère!

    Martin

  • Amine dit :

    @Martin : D’ailleurs, comment combattre une vague? En tentant de lui soustraire l’énergie qui l’alimente (ex: en puisant au tréfonds des énergies qui nous restent après une journée sur le plancher afin de contrer le discours réactionnaire… et à cet égard, je nous trouve bien bons depuis un an; je ne suis plus capable de suivre le quart des discussions virtuelles comme celle-ci tellement il y en a)… tout en demeurant critiques envers les ratés de notre propre camp. Ainsi de la « Grande Messe » deux fois par année. Je participe moi-même, depuis une couple d’années, à organiser celle des cadres. Si je compare ses fruits à l’accompagnement, par exemple, elle ne tient pas la route, et je suis alors tenté de militer pour qu’on la « scrappe ». Mais quand je regarde le nombre de fois qu’elle a joué un rôle de simple béquille émotive, un genre de r’montant quand la vague susmentionnée est décidément trop déprimante, je me dis que ce n’est pas peut-être pas des ressources si mal dépensées.



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