À la défense du copier-coller

SaakCopy76.jpgC’est en copiant qu’on invente. (Paul Valéry)

À l’instar de Francis Pisani, « je suis pour le “copier-coller” honni des professeurs. » Les saintes-nitouches du plagiat, après avoir brandi devant les élèves le glaive de la moralité, n’hésitent pas à chaparder du matériel et à le reproduire au photocopieur. Les raisons évoquées par les professeurs ne sont souvent guère différentes de celles qui motivent les élèves. La propriété intellectuelle, de toute façon, est aujourd’hui un concept chancelant.

Le mot est l’expression la plus simple du copier-coller. Notre pensée jaillit principalement de l’oeuvre de nos prédécesseurs. Une idée, aussi originale soit-elle, ne sera toujours que le réaménagement de concepts existants dans la synthèse d’un nouveau sens. Si nous pouvons nous arroger le mérite de ce dernier, nous ne pouvons guère réclamer la propriété des premiers. Un auteur est toujours redevable à l’humanité.

La communication orale, antérieure à la communication écrite, ne s’est jamais souciée de plagiat. Même qu’elle en dépendait, la mémoire constituant l’essentielle audiothèque de transmission de la connaissance. Ce rapport naturel au savoir se poursuit à ce jour. Le plagiat est né pratiquement de la littérature, dès lors qu’on a commencé à vivre de l’écriture. La propriété intellectuelle, quant à elle, est née du commerce, à l’enseigne duquel loge l’édition.

Les défis de ce monde appellent un traitement de l’information qui repose sur la complexité des idées au-delà du simple concept des mots. Jouer avec les mots était autrefois un désoeuvrement pour les riches; c’est aujourd’hui le gagne-pain des artistes. Quant à la majorité, elle a d’abord besoin de manipuler des blocs d’idées dans la compréhension, puis la construction de l’édifice d’une vie. Si le métier d’élève consiste d’abord et avant tout à bâtir un édifice unique, on ne saurait exiger de lui qu’il forge tous ses matériaux. En cultivant, par ailleurs, son penchant naturel à la beauté, on verra indirectement au développement du mot.

L’esprit traite les concepts et les idées avant les mots. Le traitement de modules conceptuels, dans un but de synthèse, est également une stratégie d’apprentissage qui n’est pas sans rappeler la programmation par objet. D’un point de vue plus artistique, on préférera la comparaison au mashup. Mais l’un des plus exemples les plus probants de cette technique nous est donné chaque semaine, sur le blogue du RAEQ, par Amine Tehami qui assemble des coupures diverses dans des collages argumentatifs très convaincants.

Ainsi, je ne retiens même pas les conditions émises par Pisani et reprises par Florence Meichel. Malgré leur bien-fondé, elles peuvent contraindre l’apprentissage; comme dit la chanson, Another Brick in the Wall. Je ne condamne pas le moyen, mais plutôt la paresse et l’attitude de ceux qui esquivent le travail. Pour le reste, c’est une question de degrés, dans l’espoir que le professeur n’appartienne pas à cette catégorie qui diabolise les élèves.

Le copier-coller fera l’objet d’un des ateliers du camp d’été pour former les enseignants à la lecture numérique. Lors d’une rencontre préparatoire, j’ai été ravi de constater l’ouverture d’esprit des participants sur le sujet. L’idée fait son chemin.

Ne faisons pas l’autruche en niant l’efficacité du copier-coller. Je l’utilise à profusion et mes élèves aussi, à la différence que je cite mes sources. Cette intégrité intellectuelle requiert une certaine maturité, trop sans doute pour des jeunes habitués au piratage de la musique, pressés d’activités, ou désintéressés de la tâche. Mais cela viendra bien, en laissant l’éducation faire son oeuvre.

Malgré que je m’évertue à leur montrer, mes élèves négligent les citations. Je m’y prends mal, sans doute. Aussi ai-je quelques idées dans mon sac pour l’année prochaine, notamment d’inclure des citations dans les documents à leur intention; et je compte en demander dans tout travail d’envergure. Je veux surtout éviter d’en faire des experts du remaniement de mots pour déjouer les moteurs de recherche.

Mise à jour, 12 juin 2008 | En accord avec Florence Meichel qui affirme qu’il faut voir au-delà de la légitimité du copier-coller, Bruno Devauchelle avait déjà soulevé la commodité de la citation, un excellent billet qui m’avait échappé (Veille et Analyse TICE : Quand citer ses sources ne suffit pas).

[...] se contenter de mettre un renvoi à un livre voire au nom de l’auteur lorsqu’on veut y faire référence, ne permet pas de juger la pertinence de ce lien, c’est même parfois simplement un acte d’allégeance. De même l’extraction de phrases sorties de leurs contexte, accompagnées de la référence ne suffit pas. Citer un auteur, citer un texte, c’est d’abord intégrer une pensée “autre” dans sa “démarche de pensée”. Cela suppose donc un travail important sur ce qui amène à “utiliser” l’autre dans son propre travail. Le risque serait, si l’on est pas vigilant, d’utiliser ce fameux copier coller de la référence de la source sans se préoccuper de ce à quoi elle renvoie réellement, ou d’extraire sans discernement des passages et de citer la source sans respecter le contexte d’élaboration de ce passage.

Mise à jour, 19 juin 2008 | Même les scientifiques, pourtant parmi les plus scolarisés, s’adonnent au plagiat et à la tricherie. Une enquête publiée dans la revue Nature révèle en effet que près d’un chercheur sur dix a été témoin de gestes condamnables de la part d’un confrère (Cyberpresse : Plagiat, falsification de données : les scientifiques trichent aussi).

Mise à jour, 06 septembre 2008 | Patrick Flouriot cite ce billet et apporte sa propre réflexion, plus nuancée que la mienne (Enfants 2.0 : Encouragez vos enfants au copier-coller).

Mise à jour, 23 mars 2009 | Selon un expert sur le problème du plagiat à en éducation, la principale cause du phénomène ne serait pas le désir de tricher, mais plutôt la méconnaissance de ce qu’est le plagiat (EurekAlert! : Confusion, not cheating, major factor in plagiarism among some students).

Mise à jour, 11 avril 2009 | Claireandrée Chauchy signe dans Le Devoir une série d’articles sur le plagiat scolaire, principalement au collégial. Malheureusement, les idées exprimées reflètent une conception traditionnelle du phénomène, sans égard à la notion d’œuvre dérivé :

Mise à jour, 18 juin 2010 | Dans deux excellents billets, Russell A. Hunt, professeur d’anglais à l’Université St-Thomas, se porte à la défense du plagiat :

Les quatre raisons évoquées dans ce deuxième article sont les suivantes :

    1. L’environnement autour de la rhétorique institutionnelle est déstabilisé par le plagiat, ce qui est une bonne chose.
    2. Les structures institutionnelles se rapportant à l’évaluation et à la certification sont attaquées par le plagiat, ce qui est aussi une bonne chose.
    3. Le modèle de connaissance généralement accepté par les étudiants et les professeurs, soit la présomption que la connaissance est un cumul d’information et que les habiletés sont des facultés isolées et asociales, est assailli par le phénomène du plagiat, ce qui est souhaitable.
    4. Les forces ci-dessus obligent à amener les élèves à apprendre comment fonctionne réellement la dynamique intellectuelle de la recherche et de l’université.

Mise à jour, 24 octobre 2010 | Il est rafraîchissant de voir des professeurs d’université porter un regard anticonformiste sur le copier-coller. C’est le cas dans d’un article de Nicole Boubée de l’Université de Toulouse (@Sic : Le rôle des copiés-collés dans l’activité de recherche d’information des élèves du secondaire; PDF) dont le résumé vaut d’être cité : « La pratique du copier-coller dans les activités de recherche d’information d’élèves du secondaire reste généralement étudiée à partir des thèmes de la prise de notes ou du plagiat. Nous l’abordons différemment en questionnant son rôle dans le processus informationnel. A partir d’observations directes et d’entretiens d’autoconfrontation croisée auprès de collégiens et de lycéens, nous décrivons les caractéristiques formelles et conceptuelles de cette collecte d’extraits de documents primaires ainsi que les fonctions attribuées aux copiés-collés par les jeunes chercheurs d’information. Le processus de recherche d’information est scandé par les collectes. L’élaboration du document de collecte présente des traits communs, empilement et mise en page différée. Le contenu de ce document est régulièrement consulté dans le cours de l’activité. Après un copié-collé, les requêtes peuvent contenir un nouveau concept. Les élèves fournissent une dizaine de motifs explicitant leurs copiés-collés. Ceux-ci serviraient à définir le besoin d’information et à contrôler l’activité. Il conviendrait de ne pas les interdire lors des activités informationnelles. »


(Image thématique : Copy No. 76, 2000, par Eric Saak)


Par ricochet :
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Étude : les garçons plus sujets au plagiat
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Le plagiat : quand l’école ne fait pas son boulot
Le commerce des travaux universitaires
Des élèves contestent un contrôle anti-plagiat obligatoire
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6 réponses

  • Bonjour M. Guité,

    vous me faites plaisir en ce mercredi matin ;o)

    Le plagiat «constructif», j’appelle ça du recyclagle (voir ce schéma), baptisé comme ça lors d’une présentation sur le Web 2.0. Le tout est de comprendre que si un élève (ou un enseignant) copie-colle c’est que la question qu’on lui a posé a déjà été répondue (on a donc plagié la question!). On doit revoir nos questions afin que l’apprenant doivent «recycler» à SA manière l’information existante.

    Au plaisir.

  • Comme je l’indiquais déjà en commentaire d’un de tes billets en 2006, on parle toujours de plagiat du côté des élèves, mais rarement du côté des profs! Et donc de leur art du couper/coller qu’ils reprochent ensuite à leurs élèves.
    Et si la tâche n’équivaut à un couper/coller, les élèves ont entièrement raison de le faire ainsi.
    La nature de la tâche implique la nature du travail qui est ensuite à fournir par l’élève…
    Et je te rejoins relativement à la citation des sources évidemment puisque cela faisait aussi partie de mon commentaire. ;-)

  • Si tu souhaites avoir un exemple, en voici un :

    J’ai réagi!

  • Luc Papineau dit :

    M. Guité,

    J’ai beaucoup de difficulté à suivre la pensée de votre billet. Vous défendez le copier-coller ou le plagiat? Il existe une nuance entre les deux, je crois.

    Concernant le copier-coller, vous y allez un peu rondement en généralisant en parlant «des» professeurs et en les qualifiant de «saintes-nitouches» du plagiat. Ce dernier propos est plus que péjoratif et n’apporte rien à la valeur de vos idées.

    Que le comportement de certains enseignants à l’égard de la propriété intellectuelle soit contradictoire avec leur discours n’enlève rien à la validité de ce principe. Cela revient à affirmer qu’il ne faut pas respecter la loi parce que certains policiers l’enfreignent. Il faut, me semble-t-il, distinguer comportement et pertinence.

    Si la propriété intellectuelle est aujourd’hui chancelante, c’est bien parce qu’on y accorde parfois peu d’importance dans nos écoles et dans l’éducation des jeunes. Je relie ce comportement à un manque de respect à l’égard de tout ce qui n’est pas soi. Dans certains cas, la faible maîtrise intellectuelle de ce concept amène bien des comportements condamnables.

    Il suffit de copier le poème d’un jeune sans son consentement pour que, tout à coup, une classe réalise que des mots, des oeuvres et des idées peuvent avoir en quelque sorte un propriétaire. Quand on touche à l’individu lui-même et que l’exemple n’est plus une abstraction, c’est fou comment nos jeunes deviennent soucieux de la propriété intellectuelle…

    J’ai de la difficulté aussi à suivre certains de vos énoncés.

    Vous semblez vanter l’efficacité d’utiliser le copier-coller, mais indiquer que, par intégrité intellectuelle, vous citez vos sources, contrairement à vos élèves. En agissant de la sorte, vous reconnaissez la propriété intellectuelle, non? N’est-ce pas un comportement de «sainte-nitouche»? Seriez-vous aussi vertueux que ces professeurs qui brandissent «le glaive de la moralité»?

    Ensuite, vous vous désolez que vos élèves négligent les citations. Mais n’est-ce pas là justement aller plus loin que le copier-coller? Je ne comprends pas.

    De plus, un élève qui reformule une phrase ou une idée ne s’en approprie-t-il pas davantage le sens? Si on exclut un effet stylistique voulu, n’existe-t-il pas une certaine paresse à ne se contenter que de rapporter les propos des autres?

    Quoi qu’il en soit, en classe, lors du texte argumentatif, je dois enseigner la notion de plagiat à mes élèves, sinon ils risquent d’être sévèrement pénalisés lors de l’examen du MELS.

    J’en profite pour leur parler de la propriété intellectuelle des mots et des idées en utilisant des exemples reliés au monde de la musique et des arts.

    Pour ce qui est des mots eux-mêmes, il n’y a pas à tergiverser: quand on copie-colle, on donne la référence, sinon on plagie. Et la longueur du passage retranscrit n’a rien à voir avec le statut de celui-ci. Un mot («sainte-nitouche», tiens…) peut constituer une citation. De même, une reformulation explicite ou rattachée à un ouvrage particulier demande la référence

    Pour ce qui est des idées, on peut mettre en référence bibliographique certains ouvrages qui nous ont permet d’acquérir celles-ci. La limite ici est plus floue, mais il suffit de penser à un travail de nature universitaire, par exemple.

    Comme je l’ai indiqué, toute cette question en est une de respect mais aussi d’éthique et je pense que ces deux valeurs doivent guider l’éducation de nos jeunes qui seront, ne l’oublions pas, les citoyens de demain.

  • @Pierre : J’adore l’expression plagiat « constructif ». Cela résume en deux mots l’essentiel de l’utilisation du plagiat à des fins d’apprentissage.

    @Lyonel : Quel plaisir que cette visite! Et quelle mémoire… l’entraînement sans doute de ceux qui ont la passion de l’histoire :-) Je seconde ce rapprochement entre la nature de la tâche et la nature du travail. Très juste.

    @Martin : Sincères remerciements d’avoir signalé le cas de plagiat. Non pas que je m’en serais formalisé, mais il s’agit là effectivement du seul cas de plagiat que je condamne réellement, comme je le sous-entends dans le 6e paragraphe.

    @Luc : Voilà une fort bonne réponse. J’ai commencé par faire une petite correction à la deuxième phrase en remplaçant Ces saintes-nitouches par Les saintes-nitouches, moins englobant. Pour le reste, il ne s’agit, à mon avis, que d’une question de perspective et d’attitude à l’endroit du plagiat. Nous avons tous, je crois, le souci de promouvoir l’intégrité intellectuelle. La différence réside principalement dans ceux qui en font un point d’éducation, et ceux qui en font un cas de lèse-majesté. Je suis résolument des premiers, mais je conçois que la plupart des enseignants se situent à divers degrés du continuum. Par conséquent, je ne vois pas de contradiction entre le fait de défendre un principe, même si la conception que j’en fais peut différer, et l’apprentissage de ce principe en tant que finalité plutôt qu’un savoir immédiat. L’essentiel de mon propos est d’accorder la priorité à l’apprentissage, quand il ne s’agit que de courts passages plagiés, en faisant de l’éthique un objectif à long terme.

  • «des experts du remaniement de mots pour déjouer les moteurs de recherche» :

    voilà où conduit le jeu du chat et de la souris…

    Une expertise se développe qui passe à côté des buts principaux !



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