Les jeunes sont différents, naturellement

MetamorphoseDali.jpgL’adolescence est le temps où il faut choisir entre vivre et mourir. (Hafid Aggoune)

La jeunesse, par définition, s’oppose à la vieillesse. À une époque marquée par les bouleversements sociaux et l’accélération de l’évolution, les générations de jeunes se suivent et ne se ressemblent pas. C’est forcé, considérant qu’ils s’adaptent naturellement à un environnement et à une culture qui diffère des générations qui ont précédé. Le cerveau est une matière bien plastique à cet âge. Leur vision du monde, tournée vers l’avenir, s’accorde mal avec celle des adultes, tournée vers le passé. Par conséquent, l’école doit s’ajuster ou devenir obsolète, une réalité qui semble échapper au mouvement pour stopper la réforme. Une étude voulant que les jeunes soient plus narcissiques fait beaucoup jaser (CNN-AP : Study: Vanity on the rise among college students). Mais cela n’explique pas tout. Il y a une panoplie de facteurs qui font qu’on ne reconnaît plus les jeunes.

La liste des changements est longue. D’abord, une mise en garde : il s’agit de généralités qui n’affectent pas tous les jeunes, et encore les affectent-ils à divers degrés. Plusieurs réussissent même à naviguer les eaux troubles de l’adolescence sans trop d’avaries. Mais une société complexe produira une gamme de transformations, et c’est justement cette pluralité qui désempare les éducateurs quand ils doivent composer avec une trentaine d’élèves, d’autant plus qu’ils font face à des phénomènes nouveaux.

Les comportements, est-il besoin de rappeler, reposent sur les valeurs. Or, le glissement familial et les nouvelles technologies de la communication font que le foyer d’acquisition des valeurs se déplace graduellement de la famille à la sous-culture d’un réseau social d’adolescents. Cela donne lieu à une sorte d’autarcie éducative.

Inévitablement, les nouvelles technologies ont occasionné plusieurs changements. Pour les nouvelles générations, l’environnement ne se limite plus à la maison ou au quartier, mais s’étend au monde virtuel. Les conséquences portent sur trois niveaux, selon Emily Nussbaum (New York magazine : Say Everything) :

1. Ils se perçoivent comme ayant un auditoire. C’est la conséquence logique d’une génération MySpace qui ne craint pas de s’afficher en ligne et de publier ses états d’âme. Ce billet d’Ariane C. laisse entendre que le phénomène est plus étendu qu’on veut bien le croire.

2. Ils ont archivé leur adolescence. Tout y est : textes, photos, vidéos, musique. Leur mémoire est non seulement consignée dans un album numérique, mais elle est partagée.

3. Leur carapace est plus épaisse que la nôtre. Que ce soit dans la messagerie instantanée ou les blogues (le courrier électronique est une technologie de dinosaures), ils sont habitués au flaming. Cela explique sans doute le peu de cas qu’ils font de « ta gueule! » et « va chier! ».

Ajoutons ici les résultats de l’étude menée par Jean Twenge et rapportée par CNN.

4. Ils sont plus égocentriques.

Les professeurs se plaignent de la difficulté de maintenir l’attention des élèves. Les psychiatres le constatent également. Les Dr Mel Levine (The Myth of Laziness) et Edward Hallowell (CNet : Why can’t you pay attention anymore?) constatent le même phénomène, largement attribuable aux nouvelles technologies. Certains experts associent les nouvelles technologies au multitâche (multitasking). À ce sujet, ils s’inquiètent de l’habileté des jeunes à analyser et approfondir les sujets (The Washington Post : Teens Can Multitask, But What Are Costs?) : “flitting from task to task could have serious consequences on young people’s ability to focus and develop analytical skills.”. Jane Healy, psychologue en éducation et auteure de Failure to Connect: How Computers Affect Our Chilren’s Minds — for Better and Worse, partage cet avis.

5. Ils ont un taux de déficit d’attention plus élevé.

6. Ils éprouvent possiblement une plus grande difficulté à analyser et approfondir un sujet.

Les psychologues et les thérapeutes constatent une hausse de la dépendance aux nouvelles technologies (computer addiction). La plupart des experts s’entendent pour dire que cela sous-entend des signes de dépression, d’anxiété et autres troubles psychologiques (San Francisco Chronicle : Young and Wired).

7. Ils sont sujets à l’anxiété et à la dépression.

Pour Marc Prensky, le fait que les jeunes aient toujours baigné dans les nouvelles technologies (digital natives) entraîne un nouveau paradigme de comportement. Dans Twitch Speed, il identifie 10 changements cognitifs observables chez les jeunes travailleurs :

    - vitesse spasmodique vs vitesse conventionnelle
    - traitement parallèle vs traitement linéaire
    - accès aléatoire vs pensée linéaire
    - préséance à l’image vs préséance au texte
    - réseauté vs autonome
    - actif vs passif
    - jeu vs travail
    - gratification immédiate vs différée
    - fantaisie vs réalité
    - technologie en tant qu’amie vs technologie en tant qu’ennemie.

Internet n’est pas le seul média auquel les jeunes s’exposent. La télévision les soumet à un autre battage de stimuli. Nombreux sont ceux qui ont la télévision dans la chambre, en plus de celle qui joue à l’heure des repas. L’effet des médias sur les enfants a fait l’objet d’un numéro spécial de la revue Archives of Pediatrics & Adolescent Medicine (Fox News : Media Exposure Linked to Child, Teen Health, Behavior Problems). On retiendra particulièrement :

8. Ils montrent une plus grande agressivité.

9. Ils sont aux prises avec des problèmes de surpoids et d’obésité.

10. Ils ont des rapports sexuels plus précoces.

11. Ils éprouvent plus de difficulté en littératie et mathématiques.

Plusieurs des maux observables sont amplifiés par le manque de sommeil. Les études indiquent en effet que les jeunes souffrent de carences en sommeil (ErekAlert! : The science of lost sleep in teens). Les répercussions se font sentir à plusieurs niveaux, notamment l’obésité et la performance scolaire (EurekAlert! : Children who sleep less more likely to be overweight ; Sleep disturbances affect classroom performance). Par ailleurs, il existe certainement un lien entre le manque de sommeil et le déficit d’attention en classe.

12. Ils manquent de sommeil.

Enfin, certains changements sont d’ordre évolutif. L’âge de la puberté ne cesse de décroître (Time : Being 13). Depuis 1840, il est passé de 16 ans environ (cette moyenne varie considérablement selon les pays) à 10,5 ans aujourd’hui chez les filles aux États-Unis (source : Wikipedia). Il semble également y avoir une croissance naturelle du Q.I., appelé l’effet Flynn.

13. Ils ont une puberté plus précoce.

14. Ils ont un quotient intellectuel plus élevé.

On ne saurait blâmer les jeunes de tous ces changements. Ils ne sont que le produit d’un modernisme galopant. On ne peut tout de même pas les rendre responsables de l’éclatement des familles, d’une enfance en garderie, ou de la société de consommation. L’éducation scolaire se veut le grand égalisateur des apprentissages sociaux. Je persiste à croire qu’elle représente la seule solution viable. Mais encore faut-il qu’elle soit branchée sur la réalité. Pour plusieurs jeunes, ce n’est malheureusement pas le cas. L’idée de bannir ou de réduire l’usage des nouvelles technologies à l’école est un non-sens, car il s’agit maintenant de la réalité à laquelle il faut éduquer les jeunes, non pas au plan technique, mais éthique.

15. Ils sont plus indisciplinés.

Mise à jour, 26 mars 2007 | Une étude longétudinale du National Institute of Child Health and Human Development indique que les enfants qui ont fréquenté les garderies en établissement manifestent plus de signes d’indiscipline, au moins jusqu’à la fin du primaire. Si tel est le cas, le vaste réseau de garderies dont le Québec s’est doté serait en partie responsable de la hausse des écarts de comportement observés par les enseignants depuis quelques années.

(Image thématique : La Métamorphose de Narcisse, par Salvador Dali)


Par ricochet :
Le fossé des générations
Les enfants pensent en images, les profs en mots
La génération télé vs la i-génération
La plasticité du cerveau
L’effet Flynn : l’évolution du Q.I.
Les jeunes ont beaucoup changé!?! (Mario tout de go)

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3 réponses

  • Nelson M dit :

    Un portrait assez juste des ado que nous côtyons quotidiennement. J’y ai remarqué plusieurs de ces caractéristiques. Très intéressant !!

  • J’observe la même chose de mon côté, à l’exception peut-être des points 1 et 2, quoique mes élèves de 2e secondaire sont encore un peu jeunes. Les points 7 et 8 sont particulièrement évidents, peut-être à cause de la pression qui vient du Programme d’éducation internationale.



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