Le chaos appliqué à l'éducation


ChaosCoward.jpgLe monde est un chaos, et son désordre excède tout ce qu’on y voudrait apporter de remède. (Pierre Corneille)

L’autorité réprouve le désordre. Tout comme l’apparence de désordre. Cela explique que réforme soit un mot bien excessif pour les changements entrepris en éducation au Québec. Les paliers de contrôle se dressent en adminwall contre les changements nécessaires pour vraiment optimiser les apprentissages. La nouvelle vidéo ajoutée à ce billet donne la mesure du changement : “By 2023, when 1st-graders will be just 23 years old and beginning their (first) careers, it only will take a $1,000 computer to exceed the [computational] capabilities of the human brain.” On ne s’étonnera pas que les instances politiques américaines aient convenu de l’urgence de la situation (eSchool News : Governors craft reform strategy).

La centralisation de l’autorité et l’uniformité des programmes sont des manifestations de l’ordre. Il est impensable, par ailleurs, de procéder à une réforme à grande échelle compte tenu de l’étendue des compétences requises. Le retard dans l’utilisation des nouvelles technologies en éducation a causé une fracture dans la compréhension du changement. Il faut désormais concentrer les compétences là où la volonté d’agir tombe sous le sens et faire confiance à l’intelligence des éducateurs dans la gestion participative. D’où je me trouve, le cas du Nouveau-Brunswick me semble un bel exemple. La diversité ne saurait être confondue avec le désordre.

Les systèmes d’éducation seraient plus efficaces si, au lieu d’une dynamique générale uniforme et contraignante, on adoptait un modèle fondé sur la théorie du chaos, soit des « systèmes à petit nombre de degrés de liberté, souvent très simples à définir, mais dont la dynamique nous apparaît comme très désordonnée. ».

La vie, de toute façon, est un maelstrom que nous organisons a posteriori. La pensée est cette extraordinaire faculté de synthèse qui tâche de mettre de l’ordre dans un univers éclectique, ce qu’il fait merveilleusement dès la naissance en construisant des liens entre des éléments disparates et en filtrant les stimuli. Par conséquent, l’apprentissage est plus efficace quand il suit un processus naturel, plus près du sens apparent des choses. Du coup, l’apprentissage informel dame le pion à l’apprentissage formel (Informal Learning Blog : A Natural Way of Learning). Par ailleurs, les nouvelles technologies multiplient les découvertes par sérendipité (un aspect important du chaos), comme Gilles le décrit si bien.

L’enseignement de connaissances ordonnées peut se justifier dans un monde stable. Ce n’est plus le cas dans nos sociétés mouvantes. Inculquer des recettes prédéfinies et immuables condamne les élèves à la déficience et à la servilité. On misera plutôt sur l’individualité et les stratégies pour apprivoiser l’inconnu à l’aide des fondements de la pensée (langage, philosophie, science, etc.).

Cela sous-tend que l’école fasse la promotion de l’incertitude, elle qui n’a jamais défendu que la certitude. Elle doit même l’accepter jusque dans ces fondements. Dans un billet fort intéressant, Christopher D. Sessums propose une théorie de l’inapaisement, fondée sur la dissonance cognitive (Christopher D. Sessums : Toward a Theory of Discontent: What can learning theory contribute to education?).

Since we live in and with complexity, we need an instructional theory that says, if we want to understand this complexity, then we must spend more time not knowing.

Part of our identity is defined by what we believe. We need an instructional theory of curiosity. We do not need to rid ourselves of what we believe, but we do need to be curious about what other people believe.

En bouleversant l’ordre mondial, les nouvelles technologies ont changé la donne en éducation. Tony Karrer résume bien la situation dans What is eLearning 2.0?. L’information prend une tout autre dimension à partir du moment où elle est co-créée (Educause Quaterly : How Choice, Co-Creation, and culture Are Changing What It Means to Be Net Savvy).

Constantly connected to information and each other, students don’t just consume information. They create—and re-create—it. With a do-it-yourself, open source approach to material, students often take existing material, add their own touches, and republish it. Bypassing traditional authority channels, self-publishing—in print, image, video, or audio—is common. Access and exchange of information is nearly instantaneous.

La théorie du chaos appliquée à un système d’éducation redonnerait aux écoles la liberté pédagogique et curriculaire, tout en assurant l’égalité des ressources. Cela aurait au moins la conséquence de réunir les éducateurs dans un réel projet d’école, un projet plus près de l’assentiment communautaire et qui tire le meilleur parti des compétences professionnelles des enseignants. Il est temps de faire confiance à tout ce personnel que l’on a formé à grands frais universitaires. Pour l’instant, je constate que notre système centralisé freine l’ardeur des meilleurs plutôt que de les appuyer. La créativité sait mieux composer avec le changement que les décrets.

Mise à jour, 20 mai 2007 | Jeff Utecht s’interroge lui aussi sur la possibilité d’introduire un peu de chaos en éducation (Thinking Stick : Chaos vs Coherent).

(Image thématique : Organic Chaos, par Cameron Coward)


Par ricochet :

Les vertus du désordre

L’apprentissage informel : un portrait global

La décentralisation des écoles (sans commission scolaire)


Voyaweb (Jobineries)

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5 réponses

  • Bonsoir M. Guité,

    Quel plaisir de lire ce billet! J’ai beaucoup apprécié. Il m’ouvre la porte à des réflexions intéressantes.

    J’ai fait un parallèle entre la théorie du chaos appliqué au macrocosme de l’éducation avec la théorie du chaos appliqué au microcosme qu’est le RÉCIT et j’y vois beaucoup de similitudes. Par contre, je me demande ce que mes collègues en pense?

    Merci beaucoup pour ce billet.

    Martin

  • Je ne connais pas assez le RECIT pour commenter votre travail à travers la lunette du chaos, Martin, mais c’est avec intérêt que je lirai ton opinion sur le sujet. Comme pour le reste.

  • « systèmes à petit nombre de degrés de liberté, souvent très simples à définir, mais dont la dynamique nous apparaît comme très désordonnée. »

    ça se rapproche de la vision des connecteurs: http://pierrelachance.net/blog/index.php/2007/01/27/256-a-la-demande-generale

    Agir localement (avec ses petites libertés), voilà la façon de modifier le global.

    Pour ce qui est du chaos dans le RÉCIT, il manque, je crois, des degrés de liberté à plusieurs animateurs pour agir localement. Il faut cependant avouer que beaucoup d’animateurs prennent des libertés intéressantes ;o)

    Au plaisir.

  • Dans la définition ci-haut de la théorie du chaos, plusieurs éléments méritent d’être retenus : « systèmes à petit nombre de degrés de liberté, souvent très simples à définir, mais dont la dynamique nous apparaît comme très désordonnée. »

    Il ne faut pas négliger la notion de système. Si les animateurs de RECIT travaillent dans l’isolement par rapport à leurs confrères, il n’en demeure pas moins qu’ils agissent dans un système d’enseignants qui gravitent autour d’eux. La grande variable, peut-être, réside dans le degré de dynamisme. Comme tu le soulignes, il y a de fortes chances que les libertés que prennent certains ajoutent à ce dynamisme.

  • Je conseille également la lecture de Margaret Wheatley : Leadership and the New Science: Discovering Order in a Chaotic World (1999). Elle y examine le chaos dans les organisations humaines.



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