Que faire de la calligraphie ?


La plupart des jeunes n’ont que faire de la calligraphie. Et pourquoi en serait-il autrement quand le clavier produit des lettres parfaites, de tous les styles inimaginables, à la vitesse de l’éclair ? Du coup, l’écriture manuelle de plusieurs d’entre eux s’est métamorphosée en pattes de mouches. Les nouvelles technologies sont en train de transformer l’écriture de la même façon dont l’imprimerie a balayé la calligraphie que les moines avaient érigée en art. Et pour faire un autre parallèle entre la presse et l’ordinateur, tous deux ont transformé les langues, le premier en uniformisant la grammaire et la graphie, le second en la comprimant en abréviations et en texto pour s’adapter à la vitesse de l’électronique.

Les écoliers d’aujourd’hui sont pris dans un mouvement transitionnel, comme un courant aspiré par la chute. Leurs habiletés d’écriture se sont perfectionnées à l’ordinateur, mais l’école leur demande encore souvent de produire des textes manuscrits. Or, plusieurs élèves ont une écriture illisible, comme le rapporte un enseignant qui écrit au Globe and Mail (Johnny can’t write — does it matter?). Le problème est particulièrement aigu au moment des examens de passage. Leur avenir même est en jeu s’ils sont incapables de réussir des examens d’admission ou des examens universitaires.

Ceux qui s’accrochent au passé déploreront la disparition d’une douce écriture où la main fait danser la plume en fines arabesques sur la surface immaculée. Les philosophes souligneront l’union rythmique de la pensée et de la main, tel un battement. De plus, il y a des avantages psycho-moteurs à travailler la calligraphie. Mais comme la mémoire, le temps est limité. Confronté à tant d’habiletés à développer, il faut faire des choix. Il se trouve que les forces du changement ont l’emprise facile sur les jeunes, en dépit de la résistance de leurs aînés.

Je consacrais beaucoup de temps à la calligraphie jadis. Mon père étant imprimeur, j’étais fasciné par la beauté des polices, bien rangées dans leur casse. Pendant les interminables périodes d’études, au collège, je tuais le temps en les reproduisant ou en dessinant de nouvelles polices. J’ai fini par développer une fameuse calligraphie.

Il n’en reste presque rien. Je m’étonne même de la rapidité de cette déchéance. Sans regret, toutefois ; le moment était venu de passer à autre chose.

Il ne faut pas abandonner l’écriture pour autant. Le papier demeure une merveilleuse technologie. Mais dans un avenir plus ou moins rapproché, nous n’écrirons guère plus que pour soi. Dans ce contexte, la calligraphie importe peu. On griffonnera quelque chose qui ressemble à de la sténo, en autant qu’on puisse le déchiffrer. Tôt ou tard, l’avènement de la transcription de la voix rendra l’écriture encore plus caduque.

Mais nous n’en sommes pas là, et mon rôle d’enseignant consiste aussi à préparer les élèves à composer avec la réalité. Je vois bien la difficulté que plusieurs ont à produire une écriture lisible. Cependant, tant que l’écriture manuscrite restera une habileté nécessaire, je compte exiger au moins un travail écrit à la main, avec soin.

Une fois, c’est bien peu, dira-t-on. Certainement pas assez pour éviter l’atrophie. Mais si tous les enseignants faisaient de même, nous réussirions peut-être à préserver cet héritage.


Par ricochet :

La plume vs le clavier

Le papier reste une technologie

Le fossé technologique entre le MELS et les jeunes (à l’aimable suggestion de Patrick Giroux)

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10 réponses

  • Il y a un lien intéressant à faire entre ce billet et celui publié plus tôt (http://www.opossum.ca/guitef/archives/002622.html).

    Quand on y pense, c’est incroyable l’impact que les TIC ont sur le développement des jeunes.

  • Très juste, Patrick. Merci de me le rappeler. J’ai ajouté la suggestion à la section des « ricochets ». Ta mémoire vaut mieux que mes outils de recherche ;-)

  • Merci François. J’ai bien aimé cet article du Globe and Mail. Il rejoint plusieurs de mes réflexions les plus « radicales » quant à l’arbitraire de certaines exigences scolaires.

  • « en la comprimant en abréviations et en texto pour s’adapter à la vitesse de l’électronique » ah mais, les moines copistes du moyen âge faisaient la même chose. Pour le non-initié, même s’il comprend le latin, ces textes sont illisibles tellement ils sont truffés d’abréviations.

    Peut-être est-ce mon côté vieillot, mais je continue à écrire sur papier. Je peux difficilement composer sur clavier (bien que ce soit ce que je suis en train de faire), en particulier lorsqu’il est question d’effectuer une traduction, même s’il ne s’agit que d’un paragraphe. En plus de l’aspect « sensuel » de l’écriture sur papier, cela me donne l’occasion de me réviser dès le début. Ce qui ne veut pas dire que j’écris lisiblement. Je développe mes propres abréviations et calligraphies rapides.

    « nous n’écrirons guère plus que pour soi » et pour certain(e)s autres. Qui voudrait d’une lettre d’amour tapée (à moins qu’il ne s’agisse d’une chef d’oeuvres de graphisme).

  • Le radicalisme, c’est ce qui permet de maintenir une certaine lucidité. Tiens bon, Charles-Antoine.

    Merci pour ton complément d’information, Marc André. J’ignorais que les moines copistes s’adonnaient à la tricherie dans leur travail de duplication. Comme quoi la copie n’était pas plus avantageuse au Moyen Âge qu’elle ne l’est aujourd’hui sur les bancs d’école ;-)

    Je préfère moi aussi le papier, justement à cause de sa sensualité et du rapport naturel avec la main. L’écran lumineux a un aspect électrique et artificiel qui éclabousse l’esprit.

    Il y aura toujours des esprits marginaux et libres en marge de la tendance populaire. Néanmoins, je crois que la majorité des gens seront happés par la vague électronique. Quant aux lettres d’amour tapées, j’ai bien peur qu’elles ne cèdent le pas aux messages multimédias, genre carte rehaussée d’une vidéo amusante ou d’une chanson. Le romantisme aussi va passer à l’ère de l’électronique :-(

    Heureusement qu’il restera toujours des artistes pour défendre le fort.

  • Sylvain Bérubé dit :

    J’ai beaucoup aimé lire ce billet, François. Justement, à ce propos, je me rends compte depuis quelques années (deux ou trois), que ma calligraphie s’est atrophiée grandement, pour moi aussi. Sur papier, je dois faire un effort de plus en plus grand pour écrire lisiblement. Au tableau, qu’il soit vert (craie) ou blanc (crayon feutre), j’écris encore très bien, mais là où une certaine motricité fine est exigée (les caractères sur papiers sont beaucoup plus petits qu’au tableau), je me rends compte que c’est devenu plus difficile avec le temps.

    L’utilisation intensive du clavier d’ordinateur pour des tâches de plus en plus nombreuses rend la calligraphie moins nécessaire et, par manque de temps, réellement, cette activité est reléguée aux oubliettes ou presque. Actuellement, elle se limite à prendre des notes dans un cours à l’université !

    Pourtant, j’adore écrire sur papier. Mais le temps manque, comme pour bien des choses, j’imagine…

  • À la vitesse à laquelle tu pianotes sur un clavier d’ordinateur, Sylvain, je ne suis pas étonné que ta calligraphie ne sois plus qu’une suite de faux accords :-)

  • Amrita Daigle dit :

    Merci pour ces petits bijoux de réflexion.

    L’écriture cursive semble disparaître plus rapidement que les lettres carrées. Ce recul m’attriste.

    L’efficacité est souhaitable, la beauté nourrit l’âme… optons pour tout à la fois et les deux lobes de notre cerveau seront ravis !

  • Le problème avec l’efficacité, c’est qu’on l’a rendue dépendante de la rapidité. Or, il y a de ces choses que la célérité empoisonne, comme la calligraphie. Et j’ai bien peur que la beauté en souffre également.

  • la cailigraphie est l’art de bien ecrire,il est un portent pour que le monde a pendre la calligraphie



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