Ludovia 2011 : les politiques et la mobilité

En démocratie, la politique est l’art de supprimer les mécontentements. (Louis Latzarus)

Les politiques éducationnelles étant serrées en France, Ludovia 2011 a constitué une table ronde autour des politiques relatives aux mobiles. Comment, en effet, concilier le paradoxe de politiques institutionnelles concernant des technologies qui tendent à à l’empowerment de l’individu, et dont l’évolution défie les règles ?

Le premier panéliste à prendre la parole, Augustin Bonrepaux, met d’emblée l’accent sur les difficultés de son département à composer avec les règles actuelles, notamment quant au nombre d’élèves dans les classes. Son propos est clair : il ne faut pas penser que les nouvelles technologies permettent de mieux faire l’école dans ses fondements. Il appert qu’il existe en général une faible connaissance de la potentialité des mobiles. Par ailleurs, l’école telle qu’on connaît a atteint les limites de son développement, à peu de choses près. Sur la question des écoles publiques qui ne peuvent accueillir plus d’élèves, pour reprendre cet exemple qu’on a évoqué, il existe d’immenses possibilités au regard du m-learning, conjointement à une école ouverte pour les élèves qui éprouvent un besoin de soutien ou d’accompagnement. Les nouveaux moyens de communication et les plus récentes méthodes d’apprentissages dispensent plusieurs élèves d’une présence continue à l’école.

Même constat au regard des familles à faibles revenus, pour qui les nouveaux appareils numériques constituent des objets de luxe. Considérant les sommes publiques énormes investies dans l’école, il y a des économies à faire en exploitant les mobiles pour réduire les coûts afférents à la construction et au maintien des écoles dures. Ces économies permettraient de subventionner l’acquisition d’appareils mobiles pour les enfants de familles à revenus modiques.

On sent chez les participants une grande prudence dans l’exploitation des mobiles. On évoque la maturité avant d’agir, comme si la maturité ne venait pas d’abord et avant tout par l’action. Le temps n’est plus à la certitude des réponses avant d’agir. Non seulement les réponses les plus probantes se forgent-elles dans l’action, et non a priori, mais l’accélération du progrès fait en sorte que les certitudes réfèrent souvent à des problématiques obsolètes.

Une panéliste soulève la question de la mobilité sous l’angle des individus ou des outils. Cette distinction clarifie le sujet, quoiqu’elle me semble désuète dans l’affirmation de l’outil numérique comme extension de l’homme. J’entends ce constat étonnant : « La mobilité des élèves et des enseignants ne pose plus problème. » Cela a de quoi surprendre, jusqu’à ce qu’on comprenne que cette vision des mobiles se limite aux ENT. Amère déception d’un horizon trouble. Néanmoins, elle reconnaît l’importance d’exploiter les usages que les jeunes font de leur smartphone. Belle ouverture d’esprit, malgré que les jeunes seront déjà ailleurs avant qu’on ne trouve comment intégrer ces technologies à l’apprentissage scolaire.

Je vois bien qu’il existe un décalage dans la méthode réflexive des gestionnaires. Généralement, ils ont gravi les échelons en démontrant leur compétence dans une pensée institutionnelle. La rapidité du changement impose une nouvelle pensée adaptative dans l’action, autrement dit une réflexion collée à la transformation. Il s’agit, en fait, d’une compétence à ajouter à celles propres à cette époque, et assurément à celles qui suivront.

Un participant exprime ouvertement la paralysie des administrations face à la diversité de choix, la pérennité des objets numériques, et la crainte d’acheter le mauvais appareil. C’est tout à fait dans une logique administrative de gestion. La solution à ce problème est simple : le BYOD (Bring Your Own Device). Les écoles sont d’abord des lieux d’apprentissage, et non de gestion du matériel informatique. Il faut libérer les écoles de la gestion des appareils. Dès lors que le numérique devient une extension de l’homme, il faut apprendre à les consommer.

Dans ce récital politique, une voix détonne, belle et tonitruante de vérité, celle d’Albert-Claude Benhamou qui, enfin, jette un éclairage philosophique sur la question de la mobilité. Il évoque le fait d’aller à l’école, aller au savoir, aller à l’autre, etc. Du coup, il dénonce l’environnement sanctionnant et contraignant de nos systèmes d’éducation, à l’opposé de la mobilité. Il nous ramène à l’essentiel de l’existence, au-delà de l’émerveillement des appareils, à l’être dans une moralité tendant à l’écosystème social. Albert-Claude Benhamou souligne la nécessité d’un numérique collectif, une réalité dès lors que l’on sait explorer les réseaux au-delà de l’individualité, vers la communauté d’abord, puis l’universalité de notre existence collective.

Le dernier participant me fait comprendre le raisonnement qui sous-tend les ENT, lequel s’inscrit dans le prolongement du tableau noir, de la plume, du manuel, et peut-être même la calculatrice, c’est-à-dire d’objets dont l’utilisation est supervisée par l’institution d’abord, puis le maître. Ainsi, on est coincé dans une rationalité de la gestion des apprentissages. La faille, dans ce raisonnement, est la migration aujourd’hui vers l’élève du pouvoir lié à l’apprentissage. Les instruments ne reposent plus seulement dans les mains des détenteurs du savoir, mais dans celles des acquéreurs de savoirs. Autrement dit, le dogme de l’enseignement ne saurait résister à l’émancipation de l’apprenant.

Les esprits dans la salle se sont échauffés dès qu’on a abordé la question des réseaux sociaux. Les énormités exprimées par des membres du panel, et de manière plus inquiétante par un représentant du milieu scientifique, témoigne d’une ignorance et de préjugés à l’endroit des réseaux sociaux. Je prends à témoin cette affirmation que les individus dans les réseaux sociaux expriment une identité personnelle, distincte de leur identité professionnelle ou institutionnelle. C’est ignorer tous les usages que les professionnels font des réseaux sociaux, même en éducation. Il n’y a pas dans Facebook que des gens qui font le clown en maillot de bain.


Par ricochet :
Ludovia 2011 : fidèle à soi-même
Ludovia 2011 : encore les ENT
Ludovia 2011 : table ronde sur les ENT

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5 réponses

  • Il me semble que deux problématiques s’affrontent à propos des ENT: il y a ceux qui se soucient d’abord du fonctionnement de l’institution (et de l’unité du service public), et ceux qui se soucient d’abord de l’efficacité des apprentissages. J’aimerais pourtant signifier à ces derniers (avec lesquels je me sens davantage en accord) que les ENT tels qu’ils sont utilisés aujourd’hui semblent mieux adaptés à l’enseignement des disciplines scientifiques qu’à celui de la langue. Cette question importante me semble restée ouverte, trop peu explorée… Et bonne continuation !

    • L’affirmation à l’effet que « les ENT tels qu’ils sont utilisés aujourd’hui semblent mieux adaptés à l’enseignement des disciplines scientifiques qu’à celui de la langue » a de quoi surprendre, de prime abord, mais mérite réflexion. Elle a le mérite d’être inédite, car il ne me semble pas l’avoir jamais entendue auparavant. Cela a de quoi surprendre, considérant que les ENT sont des outils de communication. Mais peut-être as-tu raison et sont-ils davantage utilisés dans le cadre de cours reliés aux disciplines scientifiques. Je ne saurais pas me prononcer sur cette question. Quoi qu’il en soit, il serait intéressant, Christian, que tu viennes présenter ton Moulin à Paroles à Ludovia.



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