Ludovia 2011 : table ronde sur les ENT

Quand vous venez d’ailleurs, vous voyez des choses que ceux qui sont plus familiers avec l’environnement ne remarquent plus. (Louis Malle)

Je commence la 2e journée à Ludovia par une table ronde sur les ENT, une table ronde qui, s’il faut en croire la quantité de participants sur la scène, témoigne de l’intérêt pour les ENT, comme je le l’indiquais hier. Ce que j’entends ne me convainc pas de leur utilité.

L’ensemble des préoccupations des intervenants autour de la table, relativement aux environnements numériques de travail (ENT), porte sur les problématiques administratives : sécurité technique, sécurité des élèves, débit de la bande passante, architecture du réseau, formation technique, etc. Le discours relativement aux effets sur les enseignements et l’apprentissage, la motivation, la réussite scolaire, la collaboration, et toutes les affordances que permettent le maillage en réseau, est terriblement absent.

Moment particulièrement savoureux de la table ronde, une seule intervenante, Pascale Luciani-Boyer, critique la nature simplette des activités sur les ENT et leur faiblesse sur le plan de la collaboration et le développement d’une culture participative. Du coup, la mine des autres participants s’allonge. J’en déduis que le développement des ENT, et la réflexion qui les sous-tend, sont largement en retard sur le développement libre du web et des pratiques modernes qui surgissent de cette plasticité.

Au constat de la quantité d’acteurs réunis autour de cette table ronde, je crains la complexification que l’on est en train de créer autour de mise en place des ENT. Par ailleurs, il faut se réjouir de la collaboration entre tous ces acteurs, pourvu que cette concertation ne se fasse pas qu’au moment d’une table ronde, comme c’est trop souvent le cas au Québec.

Chose rassurante, l’assistance ne pense pas que les ENT au premier degré ne doivent pas nécessairement être maintenus dans leur forme lorsque les élèves passeront au second degré. Il faut à tout prix éviter la fatigue motivationnelle qui vient lors d’un usage continu, particulièrement chez les jeunes. On connaît bien le phénomène avec les manuels scolaires, et il est étonnant que l’on commette la même erreur avec les ENT, d’autant plus que ces derniers sont encore moins attrayants que les manuels, ce qui n’est pas peu dire.

Question intéressante soulevée par une participante à la table ronde : comment éviter la fracture des parents au regard des ENT, considérant que l’implication des parents est cruciale dans la réussite scolaire? Le problème est exacerbé du fait que le travail de l’enfant réside derrière un portail protégé, et que le parent ne dispose pas de la compréhension de l’organisation du ENT et de la navigation au sein de cet environnement.

Heureusement, un participant de la table ronde aborde justement ce problème. Dans la vidéo qui est présentée, les parents se disent très contents des ENT. Gardons toutefois à l’esprit qu’il s’agit d’un montage vidéo.

Personne n’ose aborder la question de la pérennité d’un ENT au regard de la migration des utilisateurs et des données, dès lors qu’un ENT plus performant, comme cela doit forcément arriver, apparaisse sur la scène.

Force est de constater que les nombreuses critiques à l’endroit des ENT, depuis le temps, n’y changent rien. Des coups d’épée dans l’eau, somme toute. Les tenants des ENT ont beau jeu, ayant consolidé leurs défenses, et confiants de leur argumentaire auprès de la majorité. Faut-il jeter l’éponge ? Je ne pense pas, mais sans doute y a-t-il lieu de passer à autre chose que la seule opposition dans le discours.

On n’a pas fini d’en parler, malheureusement. Quant à moi, j’ai déjà accordé trop d’attention au sujet. Je veux passer à autre chose. Ludovia présente des sujets de discussion beaucoup plus intéressants.


Par ricochet :
Ludovia 2011 : fidèle à soi-même
Ludovia 2011 : encore les ENT

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5 réponses

  • cfd dit :

    Ces ENT ne sont ils pas l’illusion de réinventer la roue dans un contexte fermé? J’ai toujours trouvé que c’était une illusion d’adultes que d’y mettre autant d’énergie!

    Réinventer le courriel, le web, le ftp, etc.?

    Alors que les élèves sont tellement plus avancés que ça?

  • Serge Pouts-Lajus dit :

    Vous posez la question avec courtoisie : les Français auraient-ils compris quelque chose à propos des ENT qui nous échappe ? Mais vous la posez aussi avec malice puisqu’on sent bien qu’en réalité c’est l’inverse qui vous pensez : il y a une chose que les Français n’ont toujours pas compris à propos du numérique… Et c’est bien triste pour eux : à cause de cela, ils font fausse route, ils vont dans le mur, etc. Les ENT ne sont pas ouverts, ils sont contrôlés, compliqués, administratifs, ils sont inaptes aux pratiques pédagogies innovantes, à l’inverse de Twitter, Facebook et les autres dont ils devraient s’inspirer.

    Sans vous prendre trop de votre temps, je vous fais deux observations qui, je l’espère vous feront vaciller dans vos convictions.
    Les élèves et la pédagogie sont au centre de l’établissement scolaire, certes, mais il y a d’autres choses autour, par exemple de l’administration. Et l’administration, ce n’est pas que du back-office, c’est aussi du front-office avec la participation active des gens, des élèves, des profs, des personnels, des familles. L’ENT s’occupe de ça aussi. Ca peut ne pas vous intéresser l’administration, mais ça existe, c’est utile, c’est même nécessaire dans un pays de Droit, et l’informatique est un bon outil pour elle. Alors, les personnes qui s’occupent d’administration et qui sont très estimables s’en servent et se servent des ENT.

    La deuxième observation concerne la France et sa culture. Notre tradition, vous le savez sans doute, c’est que la pédagogie c’est l’affaire de l’enseignant, il est libre de sa pédagogie. Ce n’est pas seulement un choix politique. Ca remonte à loin, avant la révolution, à notre « culture de l’honneur ». Meirieu dit ça dans le Monde d’hier: « La culture française a toujours été rétive aux théories de l’apprentissage ». Mais si l’institution et la culture résistent aux théories de l’apprentissage, elles résistent à toute normalisation dans ce domaine, y compris à la normalisation socio-constructiviste. D’où la réaction épidermique du système tout entier (administration et profs) à la mode des compétences.

    Voila pourquoi la part de la pédagogie dans les ENT est faible. Si vous êtes attentif, vous constaterez qu’elle n’en est pas absente, mais qu’elle y est de façon discrète et non contraignante.

    Tout ceci n’empêche pas que nos ENT sont plein de défauts et notre école dans un triste état. Il est tout aussi important pour nous de comprendre les causes et la nature de nos problèmes, de ne pas nous précipiter dans des impasses pour les résoudre (par exemple : puisque nos traditions sont nulles, ignorons-les !), que de nous faire aider par nos voisins, nos cousins qui peuvent, bien sûr nous éclairer sur ce que nous ne parvenons pas à voir nous-même.

    • Je ne doute point que les acteurs du “front-office” qui s’affairent autour des ENT, et même ceux du “back-office”, agissent avec les meilleures convictions et intentions. Les nombreuses tables rondes à Ludovia l’ont amplement démontré. Par ailleurs, la contrepartie aux ENT ne saurait résider uniquement dans les réseaux sociaux tels que Twitter ou Facebook. Ces derniers ne constituent que quelques éléments de réponse, pièces bien labiles dans l’effervescence de l’environnement numérique, tout comme les ENT.

      Je n’arrive pas à secouer l’impression que les ENT répondent davantage aux besoins des enseignants et des gestionnaires, voire des parents, que ceux des élèves. Dans ces conditions, je ne puis les seconder. La négation de la primauté de l’apprenant, au profit du système lui-même, est fondamentalement ce qui mine l’éducation.

      Le problème ne fera que s’exacerber avec le temps, sachant que les jeunes sont de plus en plus actifs dans le web ouvert et participatif. Du coup, ils sont si habitués à des applications simples, naturelles et efficaces, que tout ENT ne peut que les rebuter par leur caractère restrictif, aride et artificiel. Les ENT sont des solutions numériques tout simplement au nadir de leurs générations.

      Votre deuxième observation me touche davantage. J’ai beaucoup d’estime pour la culture française, croyez-moi. Le Québec en a hérité quelques traits, notamment de caractère. Chez nous aussi, l’enseignant « est libre de sa pédagogie »; les compétences, du coup, ne font pas l’unanimité. Mon expérience me porte à croire que les enseignants sont peut-être même plus libres de leur pédagogie qu’en France, n’étant pas assujettis à la férule d’un inspecteur.

      Quoi qu’il en soit, je souhaite que de cette diversité de pratique la lumière se fasse un jour.



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