Touché! : habitudes de lecture


HannahReadingOutside.jpgLa lecture est une amitié. (Marcel Proust)

La vie, la vraie, existe hors des sentiers battus. Et comme nos sociétés organisées nous aliènent dans l’habitude! La lecture nous extirpe momentanément des ornières, un opiacé qui sourit à notre paresse. Cette fois, la fleur est trop belle pour ne pas s’aventurer hors du sentier. Gilles a touché mon tendon d’Achille en me taguant sur mes habitudes de lecture. Je me prête au jeu de bon coeur, une première pour moi aussi, en jetant par ailleurs un regard dans le rétroviseur sur mes habitudes avant le numérique.


Où et quand?

Pour ma part, le est subordonné au quand. Je ne lis pas où je veux, mais quand je peux. Les conditions importent davantage que le lieu. D’abord, j’ai besoin de solitude; non pas des gens, car je peux lire dans une foule, mais de mes proches. J’ai besoin, pour lire, de faire corps avec le sujet. Le livre a toujours peuplé ma solitude, de sorte qu’elle n’est jamais qu’éphémère.

Le lit est le seul endroit où je ne m’habitue pas à lire, quoique je lis tard dans la nuit. S’endormir sur un livre me semble une grande injure, sans doute parce que j’établis un rapport trop personnel avec l’auteur.

La question du lieu ne vaut que si l’on dispose du temps. À défaut de tant de luxe, la lecture est cet expédient qui m’affranchit de l’un et de l’autre. Si je pouvais me téléporter, cependant, j’opterais pour la solitude d’un promontoire.

Mes habitudes de lecture ont considérablement changé depuis l’avènement d’Internet. Je lis maintenant beaucoup le matin, un peu le midi, et considérablement le soir, mais entremêlé d’écriture. Le plus souvent, la lecture mène à l’écriture, sous une forme ou une autre. Là où les nouvelles technologies ont radicalement modifié mes habitudes, c’est qu’elles ponctuent mes journées de lectures morcelées, une mosaïque disparate qui m’aiguille vers des lectures plus approfondies.

Comment je choisis mes lectures?

Par dessus tout, je ne supporte pas qu’on me demande si j’ai lu tel ou tel livres. Aussi bien chercher une aiguille dans une botte de foin. Et quand même je l’aurais lu, il faudrait que j’en aie fait une lecture récente pour en discuter avec intelligence, à moins qu’il ne s’agisse d’un livre lu et relu avidement, ce qui diminue les chances d’autant. Si peu de discernement me fait douter à la fois de l’interlocuteur et de la recommandation.

Sauf pour quelques amis dont j’estime la pensée, l’avis d’une personne ne me suffit pas. Les déceptions ont laissé des cicatrices. La lecture d’un livre est un long périple qui ne supporte pas la fadeur. Par conséquent, j’ai un faible pour les grands auteurs et ceux, moins connus, qui survivent à l’épreuve du temps, du moins pour le volet littéraire. Quant aux oeuvres contemporaines, je prête l’oreille aux consensus. Ainsi, je suis tenté par De Niro’s Game, de Rawi Hage, gagnant de l’IMPAC Dublin Literary Award.

Puisque les nouvelles technologies ont considérablement élargi mon réseau d’information, il se trouve que plus d’ouvrages contemporains sont portés à mon attention. Par conséquent, mes lectures se sont progressivement éloignées des classiques au profit des modernes. Je constate la portée de ma transformation.

Par souci de diversité, je me fais un devoir, chaque fois que je consulte Wikipédia, de visiter un article au hasard. Ce n’est qu’un exemple de la ramification et de la quantité d’incursions que les nouvelles technologies ont donné à ma lecture.

Quel style de lecture?

Je m’intéresse énormément aux auteurs, à l’esprit dans les coulisses du livre. Par conséquent, je n’ai pas de préférence de genre. Je m’intéresse cependant à la forme en tant qu’indice de la pensée de l’auteur.

Les nouvelles technologies ont considérablement enrichi la gamme de mes lectures. Pour commencer, je prends toutes les nouvelles sur le Web depuis que je me suis débarrassé de ma télé, il y a dix ans de cela. Mais surtout, la blogosphère a apporté une nouvelle dimension à ma lecture, une zone parallèle que je qualifierais de plus sociale, interactive, connective, relationnelle et quotidienne que le livre.

Qu’est-ce que j’attends de mes lectures?

En un mot, stimulation. Je juge un livre en fonction de son onde de choc au fil des ans. Plus le coup ébranlera la pensée, les sens, l’imagination et les émotions, plus il laissera d’empreintes. Plusieurs auteurs ont profondément pétri mon argile, notamment Gide, Camus, Queneau, Saint-Exupéry, Shakespeare, Joyce et Unamuno. Et Kafka, évidemment. C’est un don extraordinaire que cette infusion de grands esprits. Qui serais-je aujourd’hui sans ces maîtres à penser qui m’ont sauvé des mauvais professeurs?

C’était à l’époque de ma jeunesse, fortement marquée par l’idéalisme. Je cultive encore les idéaux aux jardins de la philosophie et de la littérature. Le contrepoids de la réalité, du moins celle qui transparaît à la surface, est assuré par les nouveaux médias. Ainsi, le livre et l’ordinateur, plutôt que de se faire la lutte, se complètent admirablement.

Mes petites manies?

Je plonge dans un livre comme un pêcheur de perles. Je souligne tous les mots et les passages qui m’émerveillent, de sorte que tous les livres de ma bibliothèque, même les plus précieux, ont perdu leur valeur marchande. Et c’est tant mieux ainsi. Pour achever cette appropriation, je date et je signe un livre au moment où j’en termine la lecture.

Pendant que je lis, j’aime bien tripoter la page entre mes doigts, pour me laisser chatouiller. Le papier possède une sensualité et une douceur que je préfère à l’éclat et la violence de l’écran.

Par contre, l’ordinateur me permet d’archiver l’information comme jamais auparavant. C’est une activité matinale, dans DEVONthink, en survolant l’actualité et la blogosphère.


Je serai mauvais joueur en ne taguant personne à mon tour. Il y aurait décidément trop de monde. Il n’est pas défendu, j’espère, de changer les règles. Si un lecteur est tenté par l’exercice, un simple commentaire me permettra de les taguer a posteriori.


(Image thématique : Reading Outside, par Duncan Hannah)


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