L'essor des programmes particuliers au Québec


AnticDifferenceDayMakes.jpgIl y a peu de différence entre un homme et un autre, mais c’est cette différence qui est tout. (William James)

Les programmes particuliers ont fait l’objet de plusieurs présentations au Colloque sur la réussite éducative. J’ai eu la chance de participer à un panel qui a abordé la question sous plusieurs angles : Mme Nicole Boutin a résumé la position du Conseil supérieur de l’éducation; Mme Solange Racine a plaidé en faveur des commissions scolaires pour la diversification des services aux élèves et aux parents; Jacques Tondreau, de la CSQ, a très bien défendu les droits des laissés-pour-compte. Quant à moi, j’ai fait valoir le point de vue d’un enseignant que l’expérience d’un programme particulier oblige à chercher de nouvelles solutions.

En préparation de ce panel, j’ai rédigé un texte en guise de support à ma présentation. Ceux qui ont assisté à la discussion ne s’y retrouveront pas entièrement, principalement parce que les panélistes ont dû amputer leur temps de parole de huit minutes et que, par ailleurs, je n’aime pas m’en tenir à un texte. Voici donc le fruit de ma réflexion sur les programmes particuliers au Québec :

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Les programmes particuliers s’inscrivent dans un continuum historique vers l’émancipation. Des programmes généralisés d’hier (on me permettra de simplifier), nous avons aujourd’hui une multitude de programmes particuliers. Ce n’est qu’une transition évolutive vers les programmes individualisés de demain.

Mais revenons à la question initiale : est-ce un paradoxe que de concevoir des programmes particuliers dans une finalité de réussite pour tous?

Il me semble que la polarité oppose davantage la notion de programme de formation et celle de réussite pour tous. Qu’il soit général ou particulier, le programme de formation vise non à former, mais à conformer les individus, à plus ou moins grande échelle, à des objectifs communs. D’où l’organisation de systèmes pour établir et gérer des normes et des écarts.

Dans une telle conception de l’éducation, les écarts sont inévitables. On ne saurait donc pas parler de ‘réussite pour tous’. Au mieux parlera-t-on de ‘réussite du plus grand nombre’, ce qui, d’entré de jeu, admet l’échec scolaire.

La ‘réussite du plus grand nombre’ est une approche systémique inquiétante parce qu’elle condamne d’emblée des enfants à l’échec. En tant que professeur, mon devoir est d’assurer la ‘réussite de tous les élèves’. L’échec d’un élève, c’est en grande partie la défaite d’un groupe de professionnels auquel j’appartiens.

Néanmoins, la question demeure : est-ce que les programmes particuliers favorisent la réussite scolaire? La réponse repose davantage dans la forme que le fond, dans l’application plus que la théorie. Si, toutefois, on souhaite vraiment la ‘réussite pour tous’, il faudra se tourner vers de nouveaux modes d’organisation scolaire qui tendent à l’individualisation des apprentissages.


La recherche

Les facteurs de réussite scolaire sont trop nombreux pour s’en remettre entièrement à la recherche spécifique sur le sujet des programmes spécialisés. Ces recherches sont d’ailleurs difficilement transposables en raison de l’importance de la dimension culturelle. L’ASCD (Association for Supervision and Curriculum Development) a déterminé 14 facteurs de réussite scolaire, dont 6 seulement se rapportent à l’école.

    • la rigueur des programmes

    • l’expérience des enseignants

    • la préparation des cours par les enseignants

    • le ratio maître/élèves

    • l’intégration des nouvelles technologies

    • la perception de sécurité.

Les autres facteurs dépendent de la famille et de l’environnement :

    • le poids à la naissance

    • le taux de plomb dans l’organisme

    • la faim et l’alimentation

    • la lecture aux jeunes enfants

    • la télévision

    • la présence des parents

    • la mobilité familiale

    • la participation des parents.

C’est sans compter une étude qui conclut que la pauvreté, à elle seule, serait au moins quatre fois plus déterminante que tout autre facteur d’échec scolaire. (RTF)

En Grande-Bretagne, notamment, les études se contredisent sur l’efficacité des programmes particuliers, au moment où le gouvernement envisage d’étendre le phénomène aux écoles primaires.

Une étude de Buhs, Ladd et Herald, de l’American Psychological Association, laisse entendre que le rejet et l’exclusion par les pairs est un autre déterminant de l’échec scolaire.

Walter Mischel, quant à lui, a établi une corrélation entre l’autodiscipline et la réussite scolaire.

Une étude de Wenglinsky conclut que les élèves ne réussissent pas nécessairement mieux quand ils sont placés dans une école privée.


Individu et société

Mais qu’est-ce donc que la réussite dont on parle tant?

La réussite de quoi?

Sommes-nous seulement capables de définir ce que constitue la réussite? En quoi la réussite dépend-elle d’une réussite scolaire normalisée en fonction du plus grand nombre? Cela se résume-t-il à des chiffres? Est-ce que les marginaux ne sont pas justement ceux qui sont le plus porteurs de créativité? La réussite d’une vie, il me semble, ne devrait pas dépendre d’un jugement rendu avant même l’âge adulte.

La réussite pour qui?

Pour les plus doués ou les plus faibles? En fonction de l’individu ou de l’économie? Pour le maintien de l’élite ou pour aider les démunis?

Sans même avoir convenu ni du ‘quoi’ ni du ‘qui’, c’est-à-dire de la finalité, comment pouvons-nous débattre du moyen?

On parle souvent de la dichotomie individu-société. Il s’agit en fait d’une complémentarité, car l’homme est foncièrement social. Il est dans sa nature d’interagir avec ses pairs. Mais si l’homme est un animal social, comme l’a dit fameusement Socrate, nous exigeons un raffinement de son penchant social.

Le succès de toute éducation, il me semble, est dans l’accord de l’instruction et de la socialisation. Il est étonnant, par ailleurs, de constater que la première est généralement dévolue à la pédagogie, mais la seconde à la règlementation. La mission socialisante de l’école est fondamentale, quoiqu’il faut se garder de faire de l’école la seule mandataire de l’éducation sociale.

Le Québec doit nécessairement composer avec la dualité des écoles publiques et privées. Ce clivage historique élimine d’emblée tout espoir d’éducation égalitaire. Dans ce contexte, les programmes spécialisés sont perçus par les parents comme une alternative à ce qu’on croit être la banalité de l’école publique.

À défaut d’une éducation uniforme, peu souhaitable de toute façon, à moins que l’on puisse garantir l’accès aux plus hauts standards de qualité pour tous, un choix que politiquement et financièrement nous ne semblons pas disposés à faire, je crois qu’il faut regarder ailleurs que du côté des programmes particuliers.

La personnalisation des apprentissages est une avenue de plus en plus populaire. Pour assurer un ciment social, toutefois, il importe de définir un tronc commun de valeurs et de savoirs essentiels partagés. C’est sans doute la seule façon de prévenir les idéologies extrémistes.

L’école ne peut pas être le grand lamineur social que certains souhaitent. Trop de facteurs sont en jeu. La société, par ailleurs, comporte ses propres forces d’organisation, ne serait-ce que dans l’interaction citoyenne. Elle n’a pas attendu l’arrivée de l’école pour tous.

De toute façon, l’évolution n’attend pas l’école, de sorte que nous avons aujourd’hui une école mésadaptée. Dans le débat sur l’intégration des élèves en difficulté, par exemple, il faut se demander si le problème est réellement avec l’élève, ou s’il ne se situe pas également dans l’école.

La diversité du monde contemporain appelle forcément à une multiplicité de compétences et de talent. Je crois qu’une société est plus riche de sa diversité que de son uniformité, dans la mesure où cette diversité exclut la pauvreté.


Une troisième voie : l’individualisation

Je ne suis pas un magicien qui tire un lapin de son chapeau. Plusieurs approches pédagogiques tendent déjà vers une individualisation plus ou moins grande des apprentissages :

Notre réticence à considérer d’autres avenues pédagogiques provient surtout de notre conditionnement à une structure ordonnée. La principale difficulté au regard de l’individualisation des apprentissages n’est pas tant pédagogique que bureaucratique ou organisationnelle.


Mon expérience de recherche dans l’action

Quoi qu’on en dise, la personnalisation des apprentissages n’est pas une utopie. Il s’agit plutôt d’un objectif vers lequel on tend plus ou moins imparfaitement en fonction des limites des individus et des contraintes du système scolaire. En l’absence de soutien, par conviction, c’est une voie que j’explore dans ma pratique. Au fil des ans, cette recherche dans l’action se raffine constamment. Pour l’heure, et malgré quelques obstacles surmontables, ma pédagogie s’organise autour de plusieurs éléments :

    • un portfolio d’apprentissage individualisé

    • une pédagogie du contrat; la responsabilisation

    • l’autonomie dans la gestion du temps

    • l’autonomie d’apprentissage pour toutes les disciplines

    • l’organisation du travail, la méthode

    • des ressources d’apprentissage et d’accompagnement

    • le choix du lieu d’apprentissage

    • l’évaluation formative

    • la suppression des examens sommatifs

    • la liberté d’assister aux ateliers

Mon expérience d’individualisation est limitée par les contraintes du programme de formation et de l’organisation scolaire. Or, les nouvelles technologies de la communication me permettent d’en élargir les limites, voire même de les circonvenir.


L’utilisation de la technologie

Il est hardi, voire naïf, celui qui sous-estime aujourd’hui l’apport des nouvelles technologies dans l’accompagnement éducatif des élèves. À cet égard, nous regrettons aujourd’hui de les avoir abandonnés à des instruments aussi polyvalents. Il n’est pas trop tard, cependant, pour les mettre à profit. Certaines technologies permettent déjà de personnaliser l’éducation d’un élève. Et aux technologies existantes, il faut anticiper celles à venir. Parmi les premières, signalons :

    • les bases de données personnalisées (voir Career Cruising)

    • les outils de communication aux parents

    • les outils d’archivage à des fins de suivi

    • les outils de méthode et d’organisation

    • les outils d’autonomisation des apprentissages

En conclusion

En revenant à la question initiale, je ne crois pas que les programmes particuliers puissent garantir une réussite pour tous, pas plus d’ailleurs qu’un programme unique. Mais c’est un pas dans la bonne direction. On ferait beaucoup mieux, par ailleurs, en étendant leur accès à tous et en adaptant les programmes en fonction des besoins du milieu. Ne négligeons pas, du reste, tous les efforts déployés dans les écoles en ce sens. Le programme régulier de formation ne doit pas être une obligation résiduelle, mais un choix honorable.

Cela dit, l’éducation a le devoir de s’améliorer, d’autant plus quand elle est publique. Par conséquent, elle fera bien de tendre vers une optimisation du développement individuel, notamment par l’entremise de la technologie en soutien à l’accompagnement professionnel. Quant à la mission socialisante de l’école, elle sera assurée par l’intégration d’un socle de valeurs communes. La paix naît du respect mutuel de l’individu et de la communauté. Ce qui présuppose une souplesse de conventions pour accommoder toutes les générations.


(Image thématique : What a Difference the Day Makes, par Sandra Svetlana Santiago Antic)


Par ricochet :

Appel à la communauté : les programmes particuliers

Les TIC pour un programme de formation individualisé

La pauvreté serait le principal facteur d’échec scolaire

Corrélation entre l’autodiscipline et la réussite scolaire

Étude : les élèves ne réussissent pas mieux au privé

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4 réponses

  • Jean Trudeau dit :

    Qu’au bout de tout ce riche questionnement qui est le tien sur les aspects fondamentaux de l’éducation, tu en arrives à la conclusion que les programmes particuliers sont « un pas dans la bonne direction » : voilà qui m’étonne un peu. Car tout dépend de ce qu’on entend par ‘bonne direction’. Promouvoir la réputation de l’école A ou favoriser l’épanouissement de l’élève X qui la fréquente? Un pas au détriment de qui? De l’école B dans le même quartier? De l’élève Y qui n’a pu se qualifier pour s’inscrire au programme?

    La seule ‘bonne direction’ est inclusive et assure l’épanouissement de tous et chacun, sans laissés pour compte, grâce à la personnalisation des apprentissages. Et si je t’ai bien lu, ce ne serait pas une utopie…

    Merci d’avoir partagé avec nous ce texte drôlement inspirant, d’autant plus inspirant qu’il émane d’un praticien.

  • Pour faire du pouce sur l’idée de Jean T. ci-dessus, je pense humblement qu’on peut favoriser l’individualisation des apprentissages, et ce, peu importe le programme dans lequel l’élève est inscrit, que ce programme soit particulier ou pas.

    Je comprends que François a pu dire que des programmes particuliers peuvent être un pas dans une « bonne » direction en ce sens que la différentiation entre les programmes peut favoriser un certain type de personnes. On tend alors vers une individualisation, mais par programmes et types d’élèves associés à ces programmes, pas encore par individu, du moins, pas dans le système actuel.

    Car le programme du PEI, par exemple, est chapeauté par une organisation (très) normalisante que j’orthographie « amicalement » par « obéis! » (pour OBI, maintenant devenu IB, à ne pas confondre avec eBay, où on ne vend pas de programmes, particuliers ou pas, OUF ;-)

    Il y a donc un « moule PEI » proposé (ou imposé?) par ce programme, comme il y a d’autres moules proposés par d’autres programmes. L’individualisation doit aller au-delà des moules ou des types de moules…

    Simplement mon avis…

  • Mon malaise avec les programmes particuliers date de longtemps. C’est après beaucoup de tergiversation que j’ai écrit qu’ils sont « un pas dans la bonne direction ». Par conséquent, je suis sensible aux réserves exprimées par Jean.

    Pour clarifier ma pensée, et pour ajouter aux explications de Sylvain, je vois un avantage à déstabiliser un système qui ne fonctionne pas, même si le fruit ne doit en être récolté que plus tard. Je suis déchiré, ce faisant, par tous les élèves qui ne s’y retrouvent pas dans l’intervalle, mais j’en suis arrivé à la conclusion qu’ils étaient tout autant sacrifiés dans l’ancien système.

    Je demeure convaincu que la seule façon d’échapper à ce carnage est de tendre à l’individualisation.

  • Jean Trudeau dit :

    Et si, au lieu de se comparer à l’ancien système (« Quand je me compare, je me console… »), on en bâtissait un meilleur qui intègre tout naturellement les nouvelles technologies de l’information et de la communication, au lieu de les craindre et de les bouder?

    Par exemple, celui que propose justement cette semaine Martine Jaudeau dans Thot : Éducation pour toutes et tous.



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