La qualité de la langue et les blogues scolaires


ArtLanguageLovelySlang.jpgLa faute de français anémie une langue. (Claude Roy)

Les blogues scolaires sont confrontés à un dilemme inconciliable : les impératifs de la qualité de la langue associés à la publication, d’une part, et l’erreur inhérente à l’apprentissage, d’autre part. Alors que les erreurs étaient naguère confinées aux exercices et devoirs en coulisse, les avantages du Web propulsent les apprentis sous les feux de la rampe. L’école a désormais une vitrine pour l’apprentissage, et pas seulement pour le marketing. Fidèle à sa mission éducative, elle opte pour la dynamique de l’interaction collective plutôt que le tri élitaire en osant montrer l’erreur au grand jour. Du coup, on heurte les sensibilités.

L’enseignement de la littératie revient principalement à l’école. Il incombe donc aux professeurs de voir à la qualité d’une langue abâtardie par les médias visuels et assaillie par le texto. Cette responsabilité fait fi de l’inévitabilité de la transformation de la langue à l’ère des communications. Qu’on le veuille ou non, le français subit la mutation des forces sociales, tout comme le latin ou la langue d’oïl avant lui, sans que les institutions d’enseignement, jadis ou aujourd’hui, y puissent rien changer. Tout au plus ralentissent-elles l’extinction et préservent-elles la culture.

La massification de la Culture élargit nécessairement le spectre de la qualité. N’en déplaise aux puristes et à l’intelligentsia, la scène appartient désormais à tout le monde. Dans ce contexte de synergie culturelle et de co-apprentissage, l’éducation du spectateur est aussi incontournable que celle de l’acteur.

Saisissant le taureau par les cornes, Annie Martin a convié les élèves, les parents et la blogosphère à donner leur opinion sur la question de la qualité de la langue dans les blogues scolaires et les commentaires (Classe Démocra-TIC : Publier sur notre carnet personnel et de classe). Aidée sans doute d’un coup de pouce de Mario, le billet a généré une tapée d’avis aussi intéressants les uns que les autres. Voici quelques exemples qui reflètent mon point de vue sur le sujet :

Généralement, lorsque l’on voit une faute sur un blog, on ne se formalise pas. On se dit que c’est une faute de frappe. Par contre, un blog bourré de fautes est désagréable à lire, et donne l’impression que l’auteur ne respecte pas du tout le langage, ni les gens à qui il s’adresse. (Virginie Clayssen)

Y-a-t’il en ce monde quelqu’un qui ne fait jamais de fautes nulles part? Non! Et c’est ça qu’il faut considérer. Il faut utiliser son jugement par apport aux fautes commises. (Catherine N.)

Je pense qu’il ne faut pas oublier que vous êtes tous et toutes en apprentissage. C’est-à-dire que c’est à nous comme lecteurs d’être indulgents! Même, de vous signifier le plus poliment du monde que vous faites des erreurs dans l’orthographe de certains mots. [...] Il faut forger pour devenir forgeron! » Apprentis forgerons de la langue française, apprenez à « forger » votre langue pour mieux communiquer vos idées! (Martin Bérubé)

L’important c’est de se corriger. C’est difficile d’apprendre sans faire des erreurs, mais de l’autre côté, faire des erreurs et les laisser ainsi exposées sur votre cybercarnet pourrait laisser croire que la qualité de langue ne fait pas partie de vos valeurs. (Mario Asselin)

La réponse du philosophe Alain est, à cet égard, vraiment intéressante. Alain [...] donne la raison très précise et exacte pour laquelle il faut éviter les fautes. C’est, tout simplement, par RESPECT AU LECTEUR. [...] Par ailleurs, s’éviter d’écrire parce qu’on fait des fautes ici et là est, dans un contexte scolaire, à proscrire : pour apprendre à écrire IL FAUT ÉCRIRE, écrire, et toujours écrire. (Gilles G. Jobin)

C’est une bonne habitude de relire vos textes et d’utiliser les outils disponibles (Word, Antidote, bonpatron.com, etc). [...] Considérez que chaque billet est une occasion d’apprendre, de réfléchir et de se perfectionner. Dans ce contexte, à chaque nouveau billet: vous consolidez vos connaissances de la langue et vous développez votre compétence à structurer vos idées. (Parick Giroux)

C’est comme lorsqu’on se prépare pour sortir un beau vendredi soir alors que nous savons que la belle X ou le beau Y y sera. Que fait-on ? On se coiffe, on choisit de beaux vêtements; on souhaite être à notre meilleur, car nous savons que notre apparence pourrait faire la différence. Et bien, c’est le même principe. L’écriture, mieux elle est présentée, mieux le message véhiculé pourra passer. (Christine Baillargeon)

Accepter de publier un billet ou un commentaire est déjà une grande réussite en soi. [...] Plusieurs adultes hésitent encore à publier un billet de peur du jugement. [...] Comme on dit qu’il faut écrire pour apprendre à écrire, que fait-on avec les élèves en difficulté? Doit-on les priver d’écrire et de publier? Je me permets aussi d’ajouter que je suis toujours surprise de lire un billet d’élève, « en difficulté », qui se démarque en faisant des efforts. (Brigitte Long)

[Les enseignants] peuvent nous donner un « coup de pouce » de temps en temps, mais quand tu ne seras plus à l’école, ils ne seront plus là pour corriger. Alors vole un peu de tes propres ailes, corrige-toi. (Myriam, du C.A.H.M.)

Je trouve que bien écrire est important pour bien se faire comprendre dans la société. Pensez-vous que ne pas savoir écrire ça va vous mener loin dans la vie ? (Frédéric B.)

Gilles, très à propos, reprend le précepte d’Alain quant à l’obligation pour l’auteur de respecter le lecteur. Cela vaut d’autant plus alors que nous éduquons une génération appelée à écrire sur la Toile pour un lectorat qui déborde immanquablement du public cible. L’écrit est toujours fonction de l’intention et du destinataire, lesquels déterminent la forme. La connectivité de la Toile apporte à l’écriture une dimension nouvelle dont la nature modifie les conventions. Ainsi, il devient difficile de dissocier l’écriture de la nétiquette ou d’une étique du Net (source : Mon carnet de classe).

Mais s’il importe de respecter le lecteur, il est tout aussi important pour celui-ci de respecter l’auteur. On s’abandonne trop facilement à condamner ou ridiculiser un auteur sans égard aux efforts déployés ou à l’amélioration affichée, comme le précise très justement Brigitte dans son commentaire. Au moment où la publication se démocratise, il importe aussi de faire l’éducation du lecteur. Entre autres, celui-ci doit savoir juger de la valeur d’un billet, éviter les préjugés, ne pas jauger un auteur trop hâtivement, et savoir commenter poliment. Dans le doute, on ferait bien de s’abstenir de stigmatiser. La connectivité en appelle tant aux compétences de lecture que d’écriture, et nous avons tous à tirer profit les uns et des autres.

Lire et écrire dans le monde virtuel, c’est aussi un acte de citoyenneté.

Pour faciliter les choses, les blogues scolaires gagneraient à offrir un menu d’estampilles par lequel l’élève peut signifier la qualité de son billet. Un élément graphique attire forcément l’attention. En autoévaluant son billet en fonction de la langue, des idées, de l’effort ou de sa méthode, l’élève développerait ses habiletés métacognitives. Et puis, c’est inviter le lecteur à l’indulgence.

Le plus réconfortant, pour ma part, est le constat que la très grande majorité des élèves reconnaissent l’importance de la qualité de la langue. C’est déjà une bonne indication que l’école fait pas mal son travail. Il ne faudrait pas gâter une si belle attitude par des récriminations trop insistantes.

Mise à jour, 14 octobre 2007 | L’avant-dernier paragraphe a été légèrement modifié afin de clarifier une ambiguïté relevée par Philippe Lestang, que je remercie au passage.


(Image thématique : Lovely Slang VII, par Art & Language)


Par ricochet :

Enseignement inefficace de la grammaire

L’aversion pour l’écriture

Cacographie

Le texto serait bénéfique à la grammaire

Étude : le texto ne nuit pas à la litératie


Classe Démocra-TIC: Publier sur notre carnet personnel et de classe (PédagoTIC…)

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16 réponses

  • Billet tout à fait à propos.

    Alors qu’on voit de plus en plus d’intervenants scolaires s’intéresser au cybercarnet comme outil (du moins, la manifestation d’une certaine curiosité), il est impératif que ceux-ci rencontrent, ou naviguent les pages, des gens comme ceux identifiés dans ce billet afin de constater « que la très grande majorité des élèves reconnaissent l’importance de la qualité de la langue. »

    Autre chose à ajouter, c’est aussi l’obligation de l’auteur envers soi-même. Que ce soit dans l’écriture d’un billet, d’un document quelconque, d’un papier jaune « post-it », branché à la toile ou non, se relire, au meilleur de ses connaisances langagières est un gage de respect (envers soi et envers le lecteur).

  • Et déjà, en relisant mon commentaire, j’y décèle une petite erreur de style.

    « …branché à la toile ou non; se relire, au meilleur de ses connaissances langagières est un gage… »

    Et n’allez pas penser que j’étais prof de français. Même comme prof de biologie, ce réflexe est essentiel ;-)

    Nos documents seront parfaits!…jusqu’à la prochaine paire de yeux…

  • Même les meilleurs ne sont pas à l’abri des moments d’inattention :-)

    J’aime bien ton idée de l’amour-propre, Jacques. Mon père répétait tout le temps « Fais-le bien, ou fais-le pas! »

  • Bonsoir,
    J’aime bien ton idée:
    « Pour faciliter les choses, les blogues scolaires gagneraient à offrir un menu d’estampilles par lequel l’élève peut signifier la qualité de son billet. »

    .. Seul problème: je ne la comprends pas bien!
    S’agit-il que l’élève se note lui-même? Ou bien qu’il soit noté par d’autres?
    Est-ce « En évaluant un billet .. » ou bien « En évaluant son billet » ?

    Amicalement,
    Philippe Lestang

  • Il s’agit en fait d’une autoévaluation. Merci d’avoir signalé l’ambiguïté, que j’ai tâché de corriger.

  • Un exemple d’autoévaluation, ou d’estampille, est en vigueur au CAHM, http://cahm.nbed.nb.ca/qualit%E9fran%E7ais/qualit%E9langue.htm

  • Superbes estampilles! Merci beaucoup, Jacques. Bel exemple de partage.

    Les 6 étapes du processus de publication sont aussi très intéressantes.

  • Le lien vers le « credo » ne semble pas bon.
    J’ai trouvé celui-ci, qui fonctionne:
    http://cyberportfolio.st-joseph.qc.ca/classes/carriere/archives/000713.html

  • Beau travail de recherche pour avoir déniché le lien du credo, Philippe. Merci de cette autre contribution.

  • J’aime bien l’idée de l’auto-évaluation, mais également celle de la rétroaction. Pour apprendre en faisant des erreurs, il faut avoir conscience de celles-ci (par exemple, Christine Baillargeon ne sait probablement pas que « Eh bien » s’écrit avec un « h »). Et c’est là où le dialogue propre au blogue peut servir, comme le faisait remarquer Martin Bérubé. Et comme le note Jacques, « Nos documents seront parfaits!…jusqu’à la prochaine paire d’yeux… » (d’ailleurs, Jacques, pourquoi ce point-virgule? « branché à la toile ou non » est en apposition, et demande donc d’être clos par une virgule). J’oeuvre depuis des lustres dans l’industrie langagière et la prochaine paire d’yeux m’est toujours utile!

    Et ce n’est pas seulement vrai pour les questions d’orthographe ou de grammaire, mais le style, l’argumentation, le niveau de langue, etc., tout cela gagne à être ouvert aux commentaires (respectueux) des lecteurs. On oublie souvant qu’avant d’être publié, un livre est revu par maintes personnes.

    (Cela dit, au quatrième paragraphe du billet, je dirais plus « à donner leur opinion » ;-)

  • Merci de me signaler l’erreur, Marc André… c’est déjà corrigé.

    La critique constructive et la rétroaction sont effectivement des facteurs déterminants dans l’élaboration des connaissances. Le problème avec la critique, je trouve, est le fait qu’une action généralement rationnelle entraîne une réaction émotionnelle. La rationalité des uns ne s’accorde pas toujours bien avec l’émotivité des autres. C’est sans doute pourquoi communiquer est un art.

  • Très juste. En particulier lorsque la communication se fait par voie (voix) électronique, où le ton se perd si facilement. Il faut non seulement apprendre à bien dire les choses, mais aussi à bien les entendre…

  • Quel billet pertinent! Mon équipe et moi (3e secondaire, école secondaire Les Compagnons-de-Cartier, à Québec) sommes justement en pleine appropriation des tenants et aboutissants des blogues avec nos élèves. Ceux-ci bloguent depuis bientôt un mois et je leur ai soumis une réflexion qui va un peu dans le même sens que celle que vous proposez, M. Guité (voir http://protic3.net/32/index.php?op=ViewArticle&articleId=110&blogId=1). Bloguer est un beau geste en soi, et ce geste prend tout son sens lorsqu’il est accompagné d’intentions qui évoluent dans le temps et au gré des interactions entre blogueurs!

    Il est intéressant de voir à quel point nos élèves, même après un seul mois de blogage, commencent à bien saisir la dynamique de la sphère publique, du Web 2.0 et du formidable potentiel des blogues en tant qu’outils de coconstruction des connaissances…

  • Merci d’apporter toutes ces réflexions très pertinentes. Si vous saviez toute l’influence positive que vous apportez à tous nos élèves. Ils ont commenté dans un billet de l’extérieur et savoir que la discussion se poursuit ailleurs et qu’ils sont cités ne peut qu’accroître le goût de mieux écrire. Je discutais avec un élève qui est retourné voir son commentaire pour voir s’il y avait des erreurs et oui, il y en avait mais il était fier d’être tout de même écouté et cité. Quelle belle leçon de vie sur l’importance de bien écrire.

  • Mélanie Doucet dit :

    Un blogue pour certains élèves est une motivation de faire attention aux fautes de français. Tout le monde théoriquement peut lire son blogue.

  • Bonjour,
    Je suis Cristina Dumitru. Nous avons analysé votre blogue et nous serions intéressés à entrer en contact avec vous afin de vous proposer d’être un BLOGUEUR accrédité de Publicationweb.com.
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