7 principes pour éduquer la i-génération

Davis7Daisies.jpgApprendre à voir est un enseignement de même nature qu’apprendre à lire. (Pierre Rosenberg)

Le cerveau d’un enfant est une machine à apprendre, bien plus que chez l’adulte. Quand il arrive à l’école, l’enfant possède déjà une multitude de savoirs, ne serait-ce que sur le plan de la langue et des habiletés sociales. Ces savoirs découlent forcément de son environnement. Or, comme celui-ci se transforme substantiellement au fil des décennies, entre autres à cause des nouvelles technologies, l’élève qui entre à l’école n’est plus celui qu’était son enseignant à l’époque. Dans Growing up Digital: The rise of the Net Generation, Don Tapscott identifie huit changements paradigmatiques associés à l’apprentissage interactif (Innovate : The Knowledge Building Paradigm: A Model of Learning for Net Generation Students) :

    • de l’apprentissage linéaire à l’apprentissage hypermédiatique;


    • de l’instruction à la construction et la découverte;


    • de l’éducation centrée sur l’enseignant à celle centrée sur l’apprenant;


    • de l’absorption de la matière à la métacognition et savoir trouver son chemin;


    • de l’éducation scolaire à l’apprentissage continu (lifelong learning);


    • de l’uniformité à l’individualisation des apprentissages;


    • de l’apprentissage en tant que torture à l’apprentissage en tant que plaisir;


    • de l’enseignant comme transmetteur de connaissances à l’enseignant comme facilitateur.

Ce constat ne représente que le point de départ pour l’éducation. Encore faut-il savoir comment procéder, en fonction du développement initial et au regard de la finalité. Helen Sword et Michele Leggott de l’Université d’Auckland proposent sept principes d’éducation pour la i-génération (Innovate : Backwards into the Future: Seven Principles for Educating the Ne(x)t Generation). Le modèle de Sword et Leggott est d’autant plus appréciable qu’il fait abstraction des nouvelles technologies, s’en tenant aux aux principes plutôt qu’aux moyens :

    1. Céder l’autorité : “instructors can find many ways of granting increased intellectual authority to their students, even in large, highly structured lecture courses”.
    2. Réassigner les élèves dans des rôles d’enseignants, de chercheurs et de producteurs de savoirs : “Teaching to the future demands that we imbue students with a sense of intellectual purpose, instill in them a desire to make a difference, provide them with opportunities to reach a wider audience, and furnish them with the tools to break new ground.”
    3. Promouvoir les relations collaboratives : “Teaching to the future involves harnessing the collaborative impulses already at large in digital culture and directing them toward educational ends, so that « group work » shifts in our students’ perception from an eyeroll-inducing educational gimmick to a cutting-edge skill worthy of cultivation and scrutiny.”
    4. Cultiver les intelligences multiples : “Education for the future needs to address all of these many abilities, teaching students to be aware of and make use of their own particular gifts.”
    5. Nourrir la créativité critique : “Criticism looks back; creativity looks forward; and in the meeting of the two glances, sparks fly.”
    6. Encourager la résolution face au changement : “Critically creative people regard obstacles as opportunities; they welcome challenges because the act of surmounting impediments so often leads to unanticipated insights.”
    7. Concevoir des activités qui établissent des liens entre le passé et l’avenir : “When we teach only to the future, we abandon our responsibility as the curators of our intellectual heritage. Likewise, when we teach only to the past, we forget that our students have already booked tickets in the opposite direction.”

Sword et Leggott formulent leurs principes dans un contexte universitaire. Au primaire et au secondaire, il s’agit d’abord de les considérer comme des objectifs dont l’apprentissage passe par des degrés d’acquisition en fonction de l’âge et des individus. Cela me semble particulièrement le cas pour les deux premiers principes. Néanmoins, on ne saurait attendre que les jeunes atteignent l’université pour développer les habiletés sous-jacentes. D’une part, ces habiletés seront tout aussi utiles à ceux qui ne fréquenteront pas l’université. D’autre part, l’université aura beaucoup à faire si elle doit déconstruire des stratégies d’apprentissage incrustées depuis le primaire.

Mise à jour, 3 juillet 2007 | En guise de conclusion, je résume le tout dans un schéma (cliquez sur l’image pour un agrandissement) :

    EduquerNetGenerationSmall.jpg

(Image thématique : Seven Little Daisies, par Emma Davis)


Par ricochet :

Principes d’apprentissage

Synthèse des théories éducationnelles

How People Learn : livre en ligne

12 principes pour un apprentissage durable

Synthèse des théories d’apprentissage

Apprendre en contexte

Le cycle de l’apprentissage

Survol de l’apprentissage et du connectivisme


La “Net Generation » – Innovate – June/July 2007 Volume 3, Issue 5 (PédagoTIC…)

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8 réponses

  • merci pour le bon résumé.

    J’imagine que c’est ici que le travail commence: s’entendre sur le sens à donner à ces principes et surtout la façon dont elles doivent être appliqué…

  • Jacques dit :

    Je me souviens qu’en 1991, avant qu’on assiste véritablement à tout impact signifiant des TIC (du moins en était-on à un début…) en éducation, on se disait « Ne limitez pas les enfants à vos apprentissages car ils sont nés d’une autre époque ». Ensuite, on avait ici au N.-B. les principes directeurs de l’école primaire renouvelée, en 1996, qui parlaient de pensée critique, de collaboration au lieu des pupitres en rang d’oignon, de résolution de problème, de l’élève au centre des apprentissages, du rôle changeant de l’enseignant, des intelligences multiples (la mode « Gardner ») et j’en passe… Plus ça change, plus ça semble pareil – les enfants en 1991 sont les jeunes enseignants d’aujourd’hui à qui on dit sensiblement la même chose – sauf que cette fois, face à une jeunesse si fondamentalement interconnectée (c’est vrai que je ne tiens pas compte de l’apartheid du fossé numérique – Seimens en parle aujourd’hui), il me semble qu’il y a encore plus d’urgence pour ce que j’appelle « l’introspection de sa pratique éducative ». Ce billet et ce tableau en sont de très bons éléments contributeurs.

  • Ce qui m’embête un peu dans cette approche, c’est qu’on en fasse une question de générations. Ma conjointe enseignait au primaire à l’époque du « Français à l’école active », j’ai enseigné au secondaire à l’époque du Programme cadre de français et notre pédagogie était inspirée des mêmes principes, à peu de choses près, même si formulés autrement et sans le support des TIC. Cultiver chez nos jeunes la créativité, l’ouverture, la solidarité, l’esprit critique… bref, développer leur autonomie tout autant que leurs connaissances… Le problème, c’est qu’il aurait fallu y arriver sans déranger personne — ce que je n’ai pas réussi! Ces sept principes auxquels je souscris pleinement peuvent-ils être appliqués dans l’école québécoise, au XXIe siècle, sans déranger? Sommes-nous mûrs pour une école ‘dérangeante’? Voilà la question.

  • Mes remerciements à Martin d’avoir donné un fameux coup de pouce à ce billet. Ces 7 principes ajoutent effectivement du pain sur la planche; quant à s’entendre sur le sens et l’application, ça c’est une autre histoire.

    Jacques, en quelques mots, dresse d’ailleurs un portrait assez éloquent de la lourde tâche de moderniser les systèmes d’éducation. J’aime beaucoup son constat « d’urgence pour ce que j’appelle « l’introspection de sa pratique éducative » ». À mon avis, cela passe par une décentralisation de l’éducation qui confie aux professeurs un statut de professionnel associé à une imputabilité d’équipe-école.

    C’est étonnant comme les trois commentaires ci-dessus s’enchaînent. Jean conclut très justement que le problème réside dans la résistance des écoles au changement. Je suis tout à fait d’accord. C’est l’une des principales raisons qui me font croire que l’école actuelle n’est plus un modèle viable. Le changement ne viendra pas de l’intérieur, car trop d’intérêts et d’emplois sont en jeu. Les forces qui vont faire éclater l’école doivent venir de l’extérieur, en espérant qu’elles trouveront des appuis de l’intérieur. J’espère être encore là pour soutenir le mouvement.

  • Il semble y avoir un consensus assez fort, entre enseignants de diverses institutions. Lors d’une conférence sur l’apprentissage universitaire et les technologies (Spirit of Inquiry, organisé par McGraw-Hill Ryerson à Concordia en mai dernier), ce sens de consensus était très fort.
    Comme le disent plusieurs, ces principes ne sont pas nouveaux mais nous peinons à les mettre en pratique. Est-ce vraiment l’administration scolaire qui nous met des bâtons dans les roues? Ou les parents? La société en général?
    Je crois simplement que les changements sont en train de se produire mais qu’ils prennent plus de temps que ce à quoi on s’attendait. Dans l’histoire de l’apprentissage formel, une période de transition d’une cinquantaine d’années ne semble pas très longue.

    J’ai été élevé dans un milieu «constructiviste» (pour résumer toutes ces idées sur l’apprentissage qui sont centrées sur l’apprenant). Mon père a étudié avec Piaget et il a réussit à implanter divers idées très constructivistes dans son enseignement en adaptation scolaire. C’est souvent «Le Système» qui rejette ces idées puisque les buts de l’enseignement changent aussi.

    Dans mon cas, en tant que chargé de cours dans diverses universités américaines et canadiennes, je remarque que les étudiants sont souvent prêts à adopter un mode de travail centré sur la construction des connaissances. Beaucoup d’étudiants sont très motivés, ont un sens critique très développé, comprennent l’apport de la technologie à l’enseignement et prennent plaisir à apprendre. Mais ils sont aussi écrasés sous la pression des notes et de l’université comme passage vers le milieu du travail.
    Certaines choses changent dans la direction inverse de ce que nous semblons tous désirer. Mais c’est en persévérant que nous passerons au travers de ces changements. La possibilité de discuter entre nous et avec des étudiants de divers niveaux nous aide à persévérer.

  • Votre analyse est très juste. Quoiqu’il soit exaltant de participer à la transition vers un nouveau paradigme scolaire, la patience peut être mise à rude épreuve.

    Il me vient à l’esprit que la nature même de l’éducation, et l’importance de l’enjeu, contribuent sans doute à amplifier la résistance au changement. Quand il s’agit de l’avenir de leurs enfants, je ne suis pas certain que la société soit disposée à jouer son va-tout.



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