Le Web des cons : insultes et menaces de mort

HundertwasserSocialism.jpgToutes les violences ont un lendemain. (Victor Hugo)

L’anonymat est le courage des lâches. Non pas cet anonymat qui protège des bien-pensants et des malfaiteurs, mais celui de la vermine qui dissémine les insultes comme des chiures partout où elle passe. Alec Couros s’inquiétait récemment du phénomène, de même qu’un article dans le Globe and Mail (Are teens crossing the line with online insults?) qui a touché une corde sensible à en juger par l’avalanche de commentaires. L’escalade de la violence en ligne (cyberbullying) ne date pas d’hier, mais un triste cap vient d’être franchi avec des menaces de mort proférées à l’endroit d’une blogueuse respectable.

Kathy Sierra est l’âme de Creating Passionate Users, l’un des blogues les plus inspirants que je connaisse. Sa fine analyse de la communication, du design et de la valorisation des produits trouve de nombreuses applications en éducation. Malheureusement, sa féminité et son intelligence en font la cible de quelques détraqués. Dans un billet courageux, elle relate les faits et explique pourquoi elle a dû annuler sa participation à un événement.

La communauté s’est immédiatement portée à sa rescousse, à commencer par le nombre colossal de commentaires. Instinctivement, la blogosphère s’est animée. Andy Carvin, de PBS, a décrété le 30 mars la Journée anti-cyberbullying et invite les gens à se rallier autour de Stop Cyberbullying pour combattre cette gangrène.

Dans la défense de la civilité, l’école s’avère une pièce maîtresse. Force est d’admettre qu’en négligeant si longtemps les nouvelles technologies, les élèves la tiennent maintenant en échec. Vicki Davis fait un bilan assez juste de l’usage répréhensible qu’ils font des nouvelles technologies (The Cool Cat Teacher Blog : Spies Like Us). Prises au dépourvu, les autorités ne savent riposter que par des interdits. La mesure la plus drastique émane sans doute de cette école du Michigan qui interdit aux élèves de posséder un compte, même à la maison MySpace (ClickOnDetroit : Informational Meeting Scheduled At St Hugo). La stratégie est futile, non seulement parce que les jeunes auront tôt fait de trouver des substitus (May the force [of networks] be with you), mais parce que les institutions accusent un immense retard technologique.

Le Web a changé les règles du jeu. De média écrit, il est devenu un espace social. Alors que les insultes et les menaces ont toujours existé, la communication orale jouit d’une volatilité de temps et d’espace; l’écriture internet, par contre, est larguée dans un flou spatio-temporel où un soupçon de publicité lui assure pérennité et ubiquité. Par ailleurs, contrairement à la parole, l’écrit est handicapé par son mutisme tonal.

Certains extrémistes voient dans ce nouveau Far West une occasion de refaire le monde en défendant à tout prix la liberté d’expression. Dave Cormier observe que le conflit oppose fondamentalement liberté et sécurité : la liberté de l’agent vs la sécurité du sujet. Mais c’est faire abstraction de la dimension affective, notamment l’empathie, si nécessaire à la civilité.

Sans éducation, la partie est perdue. Les nouvelles technologies mettent dans les mains des enfants des instruments redoutables sans se préoccuper d’éthique. Après coup, on s’étonne que des abus soient commis. La prohibition imposée par les directions d’école est un aveu d’ignorance. Les mesures draconiennes fauchent tous les utilisateurs consciencieux dans ce que je qualifie de désertion éducative. Il est urgent d’ouvrir les vannes scolaires à toutes les nouvelles technologies, car c’est la seule façon de sensibiliser les jeunes aux aspects éthiques de leur usage. Sinon, nous assisterons, impuissants, à l’effritement du tissu social.

Mise à jour, 30 mars 2007 | Dans le même ordre d’idées, je découvre un article intéressant sur l’émergence du cyber-harcèlement, soit les nouvelles formes de persécution qui exploite les TIC (Technaute : La technologie au service de la persécution). Décidément, l’éducation à l’éthique des nouvelles technologies n’est plus une option, mais une nécessité.

Mise à jour, 30 mars 2007 | Comme d’habitude, Vicki Davis publie un excellent billet dans lequel elle suggère des stratégies pour contrer le cyberbullying (The Cool Cat Teacher Blog : B:-( Stop Cyberbullying Bit by Bit). En visionnant la vidéo, j’ai été pris de curiosité et découvert une tapée de vidéos YouTube sur le sujet. On en trouvera d’autres sur Blinkx, et plus certainement sur les moteurs de recherche de vidéo. Il appert qu’il y a là une tapée de ressources pour sensibiliser les élèves à l’intimidation en ligne ou, mieux encore, les engager dans un projet sur une question qui les touche certainement.


Mise à jour, 11 mai 2007 | Voici une autre vidéo proposée par Vicki Davis pour sensibiliser les jeunes aux conséquences du bullying.


Mise à jour, 1 novembre 2007 | Un autre vidéoclip, certainement beaucoup plus percutant et qui a marqué mes élèves de 2e secondaire, sur des enfants et des adolescents qui se sont suicidés pour échapper à l’intimidation (Bullied to death: They committed suicide because of bullying) :


Mise à jour, 2 novembre 2007 | Mon fils me fait parvenir une superbe vidéo dont le sujet se prête merveilleusement à l’intimidation et à la xénophobie. L’attrait d’un tel tableau sans paroles, dont le sujet n’est guère explicite, est qu’il oblige à la réflexion. On serait étonné de ce qu’il évoque pour les jeunes.


Mise à jour, 17 novembre 2007 | Une autre vidéo utile, dénichée par Alec Couros :


Mise à jour, 2 février 2008 | Ce billet sur le thème de la cyberintimidation contient le diaporama ci-dessous, particulièrement intéressant pour les diapositives 7 et 8 qui présentent huit formes de cyberintimidation : le flaming, le harcèlement, le dénigrement, l’imposture, le outing, la supercherie, l’exclusion et la cybertraque.




(Image thématique : La voie du socialisme, par Friedensreich Hundertwasser)


Par ricochet :

L’intimidation et les blogs

Les ados, les blogs, et les bêtises

La violence à l’école

L’école : un milieu violent

Étude: comment contrer le bullying

Sensibiliser les jeunes à l’éthique de la publication

Nécessité d’enseigner l’éthique

Vous pouvez suivre les commentaires en réponse à ce billet avec le RSS 2.0 Vous pouvez laisser une réponse, ou trackback.

2 réponses

  • Wow. Quel éveil à une réalité qui malheureusement est là. Tu as raison sur le rôle de l’école et l’éducation. Ce n’est pas par la prohibition, en cachant sous le tapis, qu’on va changer quoi que ce soit là-dessus. En créant ce billet, tu contribues de façon non négligeable à solidifier le tissu social. Merci François.

  • Heureusement qu’il y a des gens influents au Nouveau-Brunswick pour défendre le rôle éducatif de l’éducation (curieuse expression qui trahit l’hypocrisie de soi-disant éducateurs). J’espère que vous réalisez votre influence, Jacques. Je ne vois pas personne au Québec occupant un poste en autorité qui tient un tel discours en ligne. Il y a bien Mario, mais il n’est plus à l’intérieur des murs.

    Il faut se rendre à l’évidence que la compétence TIC n’est pas d’abord technique, mais morale. Tout comme les armes à feu. C’est une vérité de La Palice, bien sûr, mais qui n’est plus accessoire dès qu’il s’agit d’objets qui présentent un danger pour autrui.

    Non seulement il faut enseigner la nétiquette, mais je crois qu’il est important aussi de préparer les jeunes psychologiquement. Il faut barder l’innocence à partir du moment où on l’expose. Malheureusement, nous en sommes là. Il vaut mieux prévenir que guérir.



Laisser un commentaire à Francois Guité

*