L'intégration des TIC en 2007: piètre bilan

Pour reprendre la fameuse pub de E. F. Hutton, quand Gilles parle, les gens écoutent. Avec raison, comme il le démontre encore une fois dans son analyse sagace et caustique de l’intégration des nouvelles technologies de l’information en éducation au Québec (Jobineries: 2007, l’école et les TIC). Au lieu de pieuses résolutions, il sert un bon coup pied au derrière. Son portrait de la situation actuelle en souligne bien les ratés. Quoique ses solutions, par souci de réalisme, soient trop modérées pour combler le retard, je seconde ses prévisions: «  Si la tendance se maintient, 2007 sera aussi décevante que les cinq ou six dernières années. Pour y changer quelque chose, cela prendrait une volonté, un leadership et une vision. »

Même Mario, généralement reconnu pour son optimiste, laisse entrevoir son impatience (Mario tout de go: «The Perfect Storm»). Le “Perfect Storm” en question a déjà commencé à se manifester dans certaines régions des États-Unis où on investit massivement dans les nouvelles technologies de la communication. Cela ne se produira pas chez nous, faute de volonté. Les quelques réussites locales se perdent dans la vaste uniformité du système.

L’absence de volonté est largement économique. Le Québec considère encore le budget de l’éducation comme une dépense plutôt qu’un investissement. Plutôt que d’étaler les maigres ressources en donnant à chacun sa quote-part, je crois moi aussi que l’on obtiendrait de meilleurs résultats en les concentrant là où les enseignants manifestent une volonté d’agir. Je suis d’accord avec Gilles: inutile d’acheter le nec plus ultra. Un choix judicieux d’appareils et le recours à des logiciels libres ou gratuits réduiront la facture.

Pendant ce temps, les écoles s’engouffrent dans le fossé technologique. Il est temps de passer de « l’utilisation ustensile de l’informatique », comme le dit si bien Gilles, aux technologies de la communication. Le KnowledgeWorks Foundation a merveilleusement synthétisé les courants qui vont bouleverser l’éducation durant la prochaine décennie. Par ailleurs, Christopher D. Sessums présente un inventaire des compétences technologiques pour préparer les élèves à une culture participative. Enfin, Alec Couros a magnifiquement illustré toutes les ramifications d’un enseignant réseauté.

NetworkTeacherCouros.jpg


On accuse déjà un sérieux retard. La formation professionnelle, telle qu’on la connaît, ne suffit pas. L’écart continue de se creuser. Le complément de solution, à mon avis, réside justement dans le maillage technologique. Cela implique deux choses: d’abord, outiller les professeurs qui en font la demande, puis les inciter à former des réseaux professionnels. Montrez aux professeurs motivés à former des communautés de pratiques et à étendre leur réseau d’entraide, et l’apprentissage informel se chargera du reste. La formation explicite est linéaire; le connectivisme est exponentiel. Mario a raison de souligner ce propos d’Albert Jacquard: « Le but ultime d’un système éducatif devrait être d’enseigner l’art de la rencontre. »

S’il y a un fossé technologique entre l’école et la société, il faut également reconnaître le clivage entre les professeurs technophiles et les autres. Cette segmentation, profondément malsaine, ne favorise les communautés de pratique. Andy Carvin a abordé le sujet récemment. De son côté, Dave Pollard propose une analyse plus approfondie du phénomène sociologique (How to Save the World: The Long Tail, or Just the Trailing Edge?):

[The] majority lacks the power, the single-mindedness, the authority and the money, at least one of which is needed to attract significant attention.

[...]

What we need is a model, a process, a capacity to identify, connect and collaborate with those outside the Centre without being co-opted by the Centre to achieve it.


Par ricochet :

Statistiques Canada : prof n’égale pas TIC

Intégrer les TIC en classe

Stratégie d’intégration des TIC (G.-B.)

Coordination, coopération, ou collaboration ?

20 compétences TIC pour les éducateurs

5 composantes de la connectivité

Les technologies comme agents de réforme

Pourquoi les profs ne bloguent pas/a>

Le fossé technologique chez les jeunes

Cultiver sa communauté éducative

Internet et les réseaux sociaux (Pew Internet)

Le clivage technologique

La génération télé vs la i-génération

Virage dans l’éducation aux TIC

Les blogues pour améliorer sa pratique

L’intégration des TIC : la métaphore du crayon

Obstacles aux TIC pour un prof technophile [schéma]

L’école engendre-t-elle la résistance au changement ?

Principes d’intégration des TIC [schéma]

La valeur économique de la littératie

Vous pouvez suivre les commentaires en réponse à ce billet avec le RSS 2.0 Vous pouvez laisser une réponse, ou trackback.

6 réponses

  • Nelson Magoon dit :

    Un texte très pertinent et à point. Qui révèle une faiblesse d’un système éducationnelle gérer par des gestionnaires financiers sans vision.

    Au fond, l’électorat n’encourage pas une telle vision ou un changement radical en éducation. De plus, les hommes politiques n’ont pas le courage ou la vision d’y aller.

    Je dis souvent aux sceptiques que le virage se fera tôt ou tard. (Lorsque que chaque Cambodgien aura un portatif à 100$) Nous sommes historiquement dans un moment fort qui se compare à l’invention de l’imprimerie qui a permis aux gens de sortir de la noirceur du moyen-âge en modifiant radicalement la transmission des connaissances.

  • Dans bien des cas, malheureusement, le Cambodgien, actuellement, c’est le professeur dans sa classe en voie de développement ;-)

    Je suis tout à fait d’accord. L’école devra tôt ou tard se mettre au diapason de la mondialisation et des pays émergents. Mais ne sera-t-il pas trop tard? Serons-nous toujours compétitifs? Si nous ne prenons pas ce virage maintenant, nous laisserons filer 400 ans d’histoire et tous les efforts de nos ancêtres s’envoleront en fumée. Et l’on aura raison de blâmer nos politiciens.

  • « Ce sont moins les choix effectués que la connaissance de leurs implications qui déterminent la qualité du travail réalisé; je crois sincèrement que l’informatique, quelle que soit la direction prise, peut apporter une dimension nouvelle à l’école fondamentale, d’autant plus nouvelle si l’on permet à l’enfant de devenir l’auteur de sa propre formation. »

    Il a toujours été trop tard… L’école (mais pas seulement les politiciens) semble incapable de fournir les outils de la culture suffisamment rapidement pour éviter le déterminisme social. C’est, je crois, la compétition mondialiste (l’arrivée des pays de l’Est et de la Chine dans l’économie de marché ont doublé la main d’oeuvre mondiale disponible pour cette économie)qui sera le meilleur (déplorable ?) moteur de la volonté politique. Cela n’empêche bien entendu pas une différenciation interne aux pays de l’accès au savoir.

    Peut-être sommes-nous des utopistes désuets. Peut-être sommes-nous trop pressés… (le texte entre guillemets est extrait de mon TFE: 1990 (Le Logo, une approche privilégiée de l’informatique à l’école primaire))

    Les deux sans doute.

  • Formidable citation, Didier, pour les deux idées principales qu’elle contient, à savoir que la connaissance des implications est un facteur plus influent que le choix des moyens, et que les nouvelles technologies renferment le pouvoir de responsabiliser les élèves dans leurs apprentissages. On est en pleine métacognition, surtout au regard du premier point.

    J’espère que nous ne sommes pas des « utopistes désuets ». Je crois plutôt que nous sommes trop pressés. L’accélération de l’évolution fait en sorte que nous aimerions que le changement se fasse à la vitesse de l’électronique.

  • Jennifer Avoine dit :

    Peut-être, comme le dit le titre de cet article, que nous avons un piètre bilan pour ce qui est de l’intégration des TIC en 2007, mais je crois que nous allons de l’avant. Honnêtement, nous n’allons effectivement pas à un rythme impressionnant, mais je crois tout de même que notre situation reste quand même positive.
    Certains de vos propos m’ont interpelé, tel le fait qu’il faudrait « d’abord, outiller les professeurs qui en font la demande, puis les inciter à former des réseaux professionnels. Montrez aux professeurs motivés à former des communautés de pratiques et à étendre leur réseau d’entraide, et l’apprentissage informel se chargera du reste.» Je crois effectivement que l’argent devrait être investi pour les enseignants qui en font la demande parce que ceux qui ne sont pas à l’aise avec l’informatique reçoivent dans leur classe du matériel informatique toujours de plus en plus performant sans pour autant l’utiliser davantage. Selon moi, c’est de l’argent mal investi! Surtout quand-on voit d’autres enseignants être plus à l’aise avec cette technologie ou tout simplement intéressés à l’intégrer à leur programmation scolaire sans avoir ressources à de l’argent pour pouvoir travailler plus à leur guise avec des technologies.
    Il est vrai que certains enseignants plus anciens sont en effet moins à l’aise d’intégrer les TIC à leur éducation, mais pourquoi alors brimer ceux qui démontrent le désir de les exploiter? Il serait donc logique d’outiller les enseignants qui en font la demande et d’aider ceux-ci. La société et les méthodes d’enseignement évoluent et les enseignants devront tôt ou tard suivre le courant. Moi-même, étudiante à l’Université de Montréal en éducation préscolaire et enseignement primaire voient l’utilité d’intégré les TIC à notre enseignement par les cours qui nous sont donnés à ce sujet et aussi parce que j’ai grandi avec ceux-ci. Les nouvelles vagues d’enseignants et ceux s’étant déjà accoutumés dans leur vie de tous les jours à ces technologies vont graduellement faire un changement sur l’intégration des TIC à l’école



Laisser un commentaire

*