Le changement en éducation : évolution ou révolution ?


Pour les progressistes, le changement évolue toujours trop lentement. À tel point que certains, plus impatients ou plus extrémistes, préconisent une révolution — la rupture radicale avec le modèle courant — plutôt que l’évolution — ou le changement naturel. Dans un milieu aussi empreint de tradition que l’éducation, les progressistes ont longtemps rongé leur frein. En attendant leur chance, ils débattaient allègrement des avantages de l’évolution ou de la révolution. Du coup, les échanges que j’ai eus avec Michel Desbiens ont bien aiguisé ma pensée. Par conséquent, je n’ai pas pu résister à la tentation de raviver le sujet, ne serait-ce qu’un instant, en lisant ALT-C 2006 — Transforming Learning: Evolution or Revolution, un billet de Christopher Sessums.

Sessums relate un débat organisé entre les tenants du changement progressif et du changement radical. Son billet est surtout intéressant pour l’énumération des arguments avancés par chaque camp et par l’analyse qu’il en fait.

What if universities took on a mission statement that involves transformation as a continuous underlying element, that is to say, “we are always in transition” as a means of remaining flexible and adaptable to social and market demands? If this were the case, the notion of revolution wouldn’t be necessary unless this new plan wasn’t working.

En réalité, les choses ne sont jamais aussi polarisées. Quoiqu’il anticipe lui aussi une révolution en éducation, la position de George Siemens, plus nuancée, correspond davantage à ma compréhension des choses. Si le changement est instigué par les individus, il est mu par les forces sociales qui en déterminent l’emprise. L’immobilisme crée une tension qui s’apparente à celle des failles terrestres qui, lorsqu’entravées, déclenchent inévitablement à un séisme.

Change doesn’t happen by itself…and how we respond is often not directly related to change at all, but our own comfort level and willingness to experiment. [...] Change forces are not about us. They are about large-scale, societal trends. Educations role, in theory, is to adapt or die. The longer we wait to take evolutionary paths [...], the more certain it is that we will be required to take a revolutionary path. Ask TV executives or newspaper editors whether they are adapting through evolution or revolution [...]. Our turn as educators is next :).

Par ailleurs, je crois que le changement est un signe vital d’une écologie sociale vigoureuse. Le rapport de force entre réformistes et conservateurs, quoiqu’exaspérant pour les individus, est salutaire dans l’ensemble. Les élans des premiers, souvent trop prompts à agir, sont modérés par la retenue des seconds et par les préjugés des masses. À l’inverse, les progressistes n’ont cesse de tirer les traditionalistes de leur torpeur.

Pour revenir au dualisme de l’évolution et de la révolution, je crois au postulat que plus un organisme est petit, plus il est apte à opérer un changement radical. Ainsi, il est plus facile à un individu qu’à une institution d’adopter un changement paradigmatique. Cela explique en grande partie les déboires de la réforme au Québec, abaissée au rang de renouveau pédagogique.

Au-delà des aptitudes, cependant, il faut une énergie motrice. La tension, sociale ou autre, propulse le changement par à-coups, comme un moteur à quatre temps. Quand la tension devient trop grande, elle cause un éclatement. L’énergie nécessaire à générer une révolution est si grande qu’elle ne saurait être soutenue très longtemps. Sur le plan institutionnel, sans leadership pour y insuffler vitalité et ressources, elle est vouée à l’affaissement. C’est ce qui est arrivé au Québec.

Heureusement, il reste de petites cellules révolutionnaires, par-ci par-là, pour pousser les limites de la pédagogie. Pour le reste, on s’en remet au train-train de l’évolution.


Par ricochet :

Réforme ou évolution de éducation ?

Les parents sont las d’attendre

Vous pouvez suivre les commentaires en réponse à ce billet avec le RSS 2.0 Vous pouvez laisser une réponse, ou trackback.

2 réponses

  • Je suis entré dans le métier au tout début des années 70 et, encore que j’étais communiste, membre du PCF, j’ai tout de suite milité pour la réforme. Or, 35 ans après, j’ai le sentiment tout à la fois que la réforme attendue n’a pas eu lieu et que, pour autant, nous nous sommes coupés de la tradition. Ce sentiment peut paraître contradictoire. Il l’est sans doute. Comment est-il possible qu’aucune vraie réforme n’ait eu lieu et que, pour autant, nous nous soyons coupés de la tradition? Il reste à l’expliquer. Je ne sais pas trop comment on pourra le faire. Mais il se trouve qu’en art, c’est Picasso qui fait le plus (le mieux) songer à Velasquez, et non pas les peintres académiques. La dictée de Pivot est une honte, une offense, parce qu’elle pastiche celle de l’école de Jules Ferry (et du Grand Meaulnes).

  • On oublie trop facilement le rôle de la tradition. Merci de me le rappeler, Christian. Je crois que les traditions se transmettent au rythme naturel des générations. Il y a certainement beaucoup à dire sur les facteurs qui minent les traditions, mais je crois que les communications à la vitesse de l’électronique et l’américanisation de la jeunesse y contribuent largement.



Laisser un commentaire à Christian Jacomino

*