Des écoles communautaires pour le Québec ?


Tout comme Clément, je suis tombé de ma chaise ce matin en lisant cette nouvelle (Le Soleil : Un Québec d’écoles communautaires) à l’effet que le ministère de l’Éducation envisageait une politique d’écoles communautaires. Une fois remis de mon émoi, j’ai compris qu’il ne s’agissait que d’un rapport (PDF) d’une équipe de travail. La lecture du document m’a ravi tout de même quant à la portée pédagogique et sociale du projet. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. …

Le projet, bien étoffé, va au-delà de l’utilisation des locaux par les organismes communautaires, selon le modèle d’une « école partagée » (p. 7), et préconise plutôt un modèle d’une « école ouverte à la communauté [et] ancrée dans la communauté », lié à la mission de l’école. On ne saurait demander davantage. Du coup, on ne manque pas de mettre à contribution les enseignants, les conseils d’établissement, les commissions scolaires et tous les intervenants de la communauté.

La théorie tient bien la route. C’est pour la réalisation que je m’inquiète, car j’entrevois au moins trois obstacles : l’aspect financier, le leadership et l’envergure du projet.

Le rapport ne fait aucune mention des coûts engendrés par ce projet. Et il y en aura forcément, ne serait-ce qu’au niveau de l’investissement humain (organisation, administration, conciergerie, etc.). Qui dit « communauté » dit nécessairement « bénévolat » ; mais un projet de cette envergure ne peut pas reposer uniquement sur la générosité de la communauté. Or, jusqu’ici, le gouvernement se fait plutôt économe dans la gestion des fonds publics. Pourtant, selon Le Devoir (Éducation – Des écoles ouvertes et communautaires), c’est justement pour des raisons d’économies que le ministère et la Fédération des commissions scolaires du Québec veulent procéder à ce virage.

C’est sans compter sur le fait que les directions d’école ne savent plus où donner de la tête dans l’état l’actuel des choses. La réforme de l’éducation accapare passablement leur leadership, dans la mesure où ils savent l’exercer. Pour la majorité d’entre eux, les rapports avec les parents sont de l’ordre de la nécessité plutôt que de la collaboration. Le plus souvent, la paperasse les empêche de bien faire leur travail. Aussi ai-je froncé les sourcils à la lecture de cette recommandation, en gras dans le texte, pour des redditions de comptes (p. 46) :

L’équipe de travail demande donc au gouvernement d’engager les ministères et les
divers organismes à se doter d’une solide structure de coordination nationale, régionale
et locale. À ce chapitre, il devra préciser les attentes transmises aux ministères en
cause, à leurs entités régionales et aux réseaux (avec suivis et reddition de comptes
annuelle).

Enfin, l’équipe de travail semble préconiser un projet à l’échelle de la province. Si l’expérience des TIC est garante de l’avenir quant à ce genre d’initiative qui trop embrasse, je ne donne pas cher de sa réussite. À mon avis, il vaut mieux concentrer efforts et ressources là où l’intérêt est manifeste : les sommes sont plus substantielles et mieux utilisées. Si le projet a une quelconque valeur, cela fera boule de neige. En outre, l’expérience m’a appris que les directeurs d’école sont généralement récalcitrants à l’idée d’ouvrir les écoles à la communauté. La résistance sera farouche, surtout s’il n’y a pas injection de ressources financières appropriées.

Néanmoins, je demeure optimiste. L’idée d’intégrer l’école à la communauté est trop puissante pour ne pas se concrétiser, considérant la tendance des sciences de l’éducation. Que le ministère de l’Éducation ait donné son aval à ce qu’une équipe de travail se penche sur la question, puis rendu le rapport public, était déjà inespéré.

Mise à jour, 15 mars 2008 | Dans un commentaire sur le blogue du RAEQ, Mario cite un article très intéressant dans Le Devoir (Ouvert le samedi) sur les efforts de l’école Laurentide, ainsi que d’autres écoles de Montréal pour développer des liens avec la communauté dans un milieu urbain. J’apprends qu’il existe un Réseau de soutien au développement de l’école communautaire affilié au Programme de soutien à l’école montréalaise.


Par ricochet :

Écoles communautaires

Les quatre pratiques d’un milieu ouvert

Définitions de la communauté


Écoles communautaires (Rémolino)

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14 réponses

  • Je n’avais pas lu le texte du Devoir… et je dois dire que la manière d’aborder le projet de M. Caron, de la FCSQ m’inquiète un peu:

    « [il y] voit une manière de faire des économies qui pourrait profiter aux écoles des urbaines, comme elle le fait déjà dans certains milieux ruraux. «On n’a plus les moyens de travailler en silos», explique André Caron, président de la FCSQ. « Il faut vivre avec les moyens qu’on a et faire les choses autrement. » »

    Autant dire qu’il s’y résigne à contrecoeur, parce qu’il ne voit plus de moyen d’y échapper.

    Pas tellement de nature à mobiliser les gens. Faudra aborder ça autrement si on veut que ça marche!

    J’y reviendrai dans les prochaines heures.

  • Jean Trudeau dit :

    Mis sur la piste par Clément, j’ai entamé la lecture de ce rapport avec beaucoup d’espoir après avoir vu la liste des signataires. Mais j’ai franchement été déçu. D’où ce verdict préliminaire un peu dur : le contenu est superficiel, le ton pas du tout critique et encore moins convaincant; quant aux recommandations, elles ne risquent pas de déranger qui ou quoi que ce soit. Bref, mission accomplie pour ce qui est du rapport; statu quo pour ce qui est de l’école québécoise. Un peu caricaturalement, je résumerais ainsi les 50 pages du rapport : tout va merveilleusement dans les structures et les façons de faire actuelles mises à part les ressources qui manquent cruellement; pour pallier au manque d’argent et d’enfants, vous pourriez peut-être vous regrouper pour faire aussi bien, peut-être même mieux, avec moins. C’est une première réaction : j’aimerais tellement qu’on me fasse changer d’avis.

  • Je crois que Clément a raison de dénoncer les arguments purement économiques du président de la FCSQ. Il n’y a pas de mal, bien sûr, à vouloir mieux gérer les ressources publiques en matière d’éducation. C’est même très louable. Mais cela dit, cela augure mal pour l’efficacité d’un programme d’écoles communautaires. Un programme bancal ne ferait qu’estropier davantage un système scolaire qui va déjà clopin-clopant. On ne sera pas plus avancé si les écoles communautaires nuisent à la mission éducative de l’école plutôt que de la servir.

    La véhémence du propos de Jean m’a d’abord étonné. Je ne partage pas entièrement son opinion quant à la superficialité du document, mais sa critique m’a fait réfléchir un peu plus longuement sur le contenu du rapport, lequel m’avait d’abord séduit, particulièrement au regard de l’intégration de la communauté à la mission éducative de l’école. Il est vrai, à bien y penser, que cela va de soi, comme toutes les autres références aux mesures administratives existantes (Loi sur l’instruction publique, plans de réussite, projets éducatifs, conseils d’établissement, etc.). De plus, Jean a raison de souligner que les recommandations ne sont pas de nature à trop déranger le MELS, comme celle-ci par exemple :

    [Les membres de l'équipe de travail] recommandent de poursuivre l’intégration de services offerts aux jeunes et de soutenir d’autres initiatives en ce sens, dans ou à partir de l’école, par l’entremise de projets pilotes.

    Le problème tient peut-être à la composition de l’équipe de travail. Pourtant, le ministère a eu la clairvoyance de faire appel à gens de l’extérieur ; de ce fait, on se serait attendu à plus d’originalité. Mais il se trouve que l’équipe semble constituée surtout d’administrateurs et de gestionnaires ; on y trouve pas beaucoup de gens de terrain, et aucun pédagogue, si je ne m’abuse. Par ailleurs, on pouvait difficilement s’attendre à ce qu’une équipe aussi disparate puisse faire consensus sur un changement de paradigme. Peut-être était-ce le calcul que le MELS avait fait.

  • Clément Laberge dit :

    Je conserve mes commentaires pour demain (il est trop tard!) mais je dois dire que je suis aussi très déçu par la lecture du document… qui pourrait néanmoins devenir un tremplin intéressant pour les idées que nous aurions sans doute souhaité y trouver.

  • Je peux comprendre la déception de M. Trudeau. Quand on regarde cela d’un autre oeil, on peut voir dans cette mollesse une liberté de création pour les communautés. Si les recommandations avaient été plus pointues, on aurait pu noyer l’engagement éventuel des gens.

    À ce stade-ci de développement de l’école communautaire, je pense qu’il faut considérer ce rapport davantage à titre de vision, d’idée porteuse en construction qui nécessite qu’on y mette la main à la pate collectivement, plutot qu’un trousseau de clés nous disant laquelle sert à quoi.

  • C’est précisément la portée de la vision qui fait défaut dans ce rapport. Faire des économies d’échelle, comme le propose le président de la FCSQ, ne relève que de la gestion des ressources financières. Greffer le projet des écoles communautaires à la mission éducative de l’école, comme le suggère l’équipe de travail, s’avère un simple exercice administratif. Mais proposer une communauté éducative multidirectionnelle où les savoirs et les compétences se transmettent par osmose et où les actions conduisent à l’agrégat social, comme le signalait Stéphane dans son commentaire sur le billet de Clément, voilà qui constitue un exemple de vision progressiste.

    Une vision, comme celle qui sous-tend la réforme, ne doit pas imposer les moyens. Ce qui ne signifie pas qu’elle doive s’abstenir de donner des exemples. Par contre, elle doit inspirer les acteurs et les aiguillonner dans l’action. Vraisemblablement, ce n’est pas le cas avec ce rapport.

  • D’accord, le rapport, dans ses différents aspects, aurait pu etre empreint davantage de profondeur.

    Cela dit, il met néanmoins sur la table collective québécoise un concept, une idée qui, jusqu’à présent, n’avait été explorée que par quelques universitaires et initiatives locales qui sont malheureusement demeurées dans l’ombre plus souvent qu’autrement. L’école communautaire. C’est cela qui doit frapper l’imaginaire présentement. C’est ça la vision. Rien de plus. Prenons le rapport pour ces deux mots. L’avenir du Québec ne dépend quand meme pas de cette équipe de travail.

    Quand je regarde les réactions que le rapport suscite sur nos quelques blogues, je me dis qu’il a quand meme réussi à susciter passablement de réactions. «Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en.»

    Enfin, ce serait dommage qu’un maigre 100 pages soit suffisant pour inhiber toute poursuite éventuelle…

  • «L’avenir du Québec ne dépend quand même pas de cette équipe de travail.» Certainement pas. Mais l’école communautaire m’apparaît comme le meilleur moyen d’en renforcer le tissu social. Lentement mais sûrement, le ‘communautaire’ fait place au ‘sécuritaire’ dans notre société : surveillance omni présente, banques de renseignements personnels, contrôles, et mesures de sécurité ‘préventives’… (Tout cela l’accord tacite d’une population qui se sent menacée.) Les jeunes devraient pouvoir vivre autre chose, au moins à l’école, de façon à pouvoir jeter un regard critique sur la société oppressante qu’on est en train de leur préparer.

  • Je suis en accord avec vous, M. Trudeau.

    Par où commence-t-on lundi matin? Quelles formes voulons-nous donner à ce concept d’école communautaire qui est maintenant officiellement lancé à la grandeur de la province?

  • Nous sommes critiques, certes. Mais n’est-ce pas justement le rôle qu’on nous demande de jouer en déposant ainsi un rapport d’étude au début du processus de réflexion ? On ne peut pas jeter quelque chose dans la fosse aux lions sans espérer qu’il soit déchiqueté.

    Néanmoins, j’aime bien le commentaire de Stéphane qui nous ramène à l’essentiel, soit la promesse d’une école communautaire. Ces deux mots suffisent pour l’instant à susciter l’inspiration. Si j’étais cruellement cynique, je dirais que le rapport n’a de valeur que la couverture, avec ces deux mots en évidence et les images remplies de promesse ; l’intérieur gâche le rêve.

    Je retiens de l’intervention de Jean l’importance de raviver l’esprit de communauté ; il n’y a pas plus sûr moyen d’assurer la sécurité.

    Ce jaillissement de négativisme ne serait pas survenu si le rapport n’avait pas été préparé en catimini par une sorte de cabale, puis jeté sur la table une fois terminé. Encore cette vieille mentalité qui n’accorde de crédibilité qu’aux détenteurs de titres. L’issue aurait été bien différente si l’équipe en question avait travaillé à l’aide d’un wiki et en élargissant le cercle des participants.

    « Par où commence-t-on lundi matin ? » Peut-être le mieux est-il de lancer un wiki et d’élaborer une seconde ébauche de L’école communautaire. On a vu ce que cela a donné récemment avec Jasons réforme. Si l’idée d’école communautaire est d’intérêt, et je crois qu’elle l’est pour plusieurs, les participants se manifesteront.

    Comme ça, à l’improviste, il y a deux idées qui méritent qu’on s’y attarde : le concept de service communautaire et la participation des jeunes aux affaires municipales. Le premier se rapproche de l’idée exprimée par Jean ; en outre, cela pourrait très bien tenir lieu de projet intégrateur que le nouveau programme de formation prévoit pour les élèves de 5e secondaire. Quant à la deuxième idée, je conçois qu’elle est plus appropriée dans le cas des petites municipalités.

  • J’ai oublié de signaler l’excellent billet de Jean, sur son blogue, dans lequel il rappelle que l’école a déjà le devoir d’être « communautaire » en fonction de la Loi sur l’instruction publique. Aussi, il va falloir plus qu’un concept vague pour changer l’état des choses.

  • À Stéphane – Mais c’est déjà commencé : grâce à des profs comme vous qui laissent la porte de leur blogue grande ouverte même pendant ‘les grandes vacances’…
    À François – Négativisme? Non. Déception, impatience plutôt… (voir mon billet du 19 février sur «l’idée de l’école communautaire» : http://franchement.blogspot.com/2005/02/blog-post.html)

  • Le commentaire précédent de Jean m’a mené au dossier de l’école communautaire de la FCSQ. Je suis reconnaissant à Jean de me le faire découvrir.

    Le dossier est plutôt creux et décevant, hormis peut-être un rapport de l’OCDE. Le modèle américain, dont la FCSQ a fait un bon résumé, est peu souhaitable parce qu’il est orienté de façon à servir l’école ; c’est un modèle unidirectionnel dont la communauté ne bénéficie qu’indirectement.

    Quant aux exemples d’expériences vécues au Québec, la cueillette est maigre, et soit préliminaire ou pas très bien documentée, à l’exception de celle de Charlevoix. Celle-ci, toutefois, laisse entrevoir toute la lourdeur administrative que le concept d’école communautaire peut prendre.

    Afin de créer une réelle synergie entre l’école et la communauté, il faut à tout prix éliminer la paperasse et les dédales de la bureaucratie (ce que les Anglais appellent le red tape). Cela requiert de la souplesse, comme Clément le souligne, et de l’instantanéité. Pour avoir siégé sur un conseil d’établissement pendant deux ans, j’ai été sidéré de constater le temps passé aux formalités administratives (ordres du jour, procès-verbaux, courrier, procédurier, etc.) ; les points de discussion et de construction étaient relégués à la toute fin des réunions, à 22 h 00, quand tout le monde s’était endormi.

  • Paul Prévost de l’Université de Sherbrooke a écrit un rapport l’an dernier pour le Cefrio sur les liens école-communauté dans le cadre d’École éloignée en réseau. Ce rapport présente quatre cas, dont celui de Charlevoix. Il peut etre consulté ici:
    http://www.cefrio.qc.ca/rapports/%C9cole_communaut%E9s_PPrevost_2004.pdf



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