Le texte vs le multimédia


Au départ, les premières formes de communication entre les organismes vivants étaient sensorielles. La vue et les sons, surtout, se jouaient de l’espace. Et il n’est peut-être pas faux de prétendre que la communication a assuré la supériorité du règne animal, puis de l’espèce humaine. Ce n’est que bien plus tard, au moment où les sociétés se sont organisées, qu’est apparue l’écriture, une forme artificielle de communication créée pour archiver l’information et la transporter sur de grandes distances. L’imprimerie a été la première grande révolution dans les communications artificielles, car elle disséminait les connaissances. Aujourd’hui, les TIC confèrent au son et à l’image les mêmes propriétés que le papier apporte au mot écrit, quoiqu’à la vitesse de l’électronique : transport et archivage. Est-ce à dire que le mot écrit est appelé à disparaître ? …

Contrairement à certains, je n’entrevois pas la disparition du texte. L’écriture répond trop bien à certains besoins de la pensée (contrôle du débit, retour analytique, organisation des idées, schématisation, etc.) pour qu’on l’abandonne. Et puis dans un monde où on cherche désespérément à limiter le bruit, le battage médiatique et la vélocité du train de vie, la sobriété du mot écrit est un baume. L’intimité que l’on noue avec l’écrit non seulement nous isole du tintamarre qui agresse nos sens, mais crée un espace parallèle que l’on doit combler de ses propres idées. George Siemens soulignait récemment « Text gives the end user complete control for pacing and sequencing. » D’un point de vue éducatif, je ne saurais trop souligner l’apport de l’écrit à la réflexion, à la cognition, et à la construction du savoir. Pour Gunther Kress, professeur à l’Université de Londres et auteur de Literacy in the New Media Age, la réflexion et la critique sont essentielles à l’élaboration de notre propre construction de sens par rapport à ce qui nous est présenté.

What’s in danger of being lost is the pace that allows for reflection. [...] Without reflection, [there's] no critique, no ability to work out your own position in relation to what’s being presented to you.

Néanmoins, quelques auteurs et éducateurs ne craignent plus d’affirmer la primauté du multimédia sur l’écrit. Selon le Christian Science Monitor (Can video replace the written word?), plusieurs enseignants croient pouvoir s’en remettre à la vidéo pour enseigner des notions. L’article fait valoir plusieurs avantages de la vidéo :

    • La facilitation des émotions : « In school classrooms, video seems to work well when teachers are aiming for an emotional response from students. »

    • La persuasion auprès des jeunes apprenants : « programming that shows young people a possibility, such as a child doing a skilled activity, has proven to help unsure watchers « to believe they could do it. » What’s more, the video format is one kids often embrace as familiar. »

    • L’accessibilité au savoir : « In adult education, some see the rise of video as a victory for accessible knowledge. Not only is crucial information more readily available to those who aren’t avid readers, but sometimes those who take in a video might be among the best informed on important subjects [...]. « There could be a loss, but there is also a gain » from enabling patients to learn without always reading [...] There are many ways to process the world, and not all of them are logical. » »

L’attrait du son et de l’image repose essentiellement sur leur universalité. Ce sont les formes les plus naturelles de la communication. Par conséquent, ce serait une erreur que de sous-estimer leur importance en éducation. Il s’agit davantage de viser la complémentarité. Le multimédia enrichit le texte, et vice versa.

Ne négligeons pas, non plus, l’importance de l’audio. La popularité croissante du podcasting découle en quelque sorte de notre aisance au multitasking et de la liberté de choisir ce qu’on veut écouter. En ce sens, les TIC nous affranchissent des grands médias. Sans compter que la miniaturisation des technologies nous libère de l’ordinateur. Muni d’un lecteur MP3, il est facile de vaquer à d’autres occupations pendant qu’on écoute un auteur. Pas étonnant que certains sites accompagnent leurs articles de fonctions audio.


Par ricochet :

L’importance des supports visuels

Des « canons » plus que des livres

La création multimédia : une compétence ?

L’avenir est-il aux blogs multimédias ?

Lecture et jeux vidéo

L’avantage des études en cinéma

Screencasting : la vidéo écran

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7 réponses

  • De plus, je trouve que l’écriture permet à celui qui écrit de pouvoir plus réfléchir à son sujet, de plus l’approfondir. Enfin, moi, quand j’écris (sur mon blogue par exemple) je prend le temps d’encore plus me renseigner sur le sujet qui m’interresse…

  • Bon point, Jules : 1 à 0 pour le texte, donc. Mais pour tenter d’égaliser la partie (même si je sais qu’elle est perdue d’avance), est-ce que tu n’es pas attiré, dans tes recherches, par l’image ? À moins d’avoir été trafiquée, l’image comporte une objectivité qui fait souvent défaut au texte. Encore une fois, j’insiste sur la complémentarité du texte et du multimédia. Pour illustrer la puissance de cette union, je ne dirais pas que le pointage est de 1 à 1, mais de 2.

  • André Chartrand dit :

    Les parties les plus intéressantes sont celles où le pointage est serré et où chaque équipe a donné son plein potentiel. Dans ces circonstances, il est fréquent de constater une amélioration du jeu de tous les joueurs de chacune des équipes. En plus, les spectateurs sont comblés!

  • Très spirituelle, ta réplique, André. Je sens comme une vague allusion au débat qui a cours entre l’instructionnisme et le constructivisme ;-)

  • Je vois une différence de portée.

    Le vidéo, par sa portée émotive, permet d’ouvrir des portes de l’esprit que la linéarité du texte maîtrise moins bien.

    J’entends ici un cas où la vidéo permetterait d’initier quelqu’un (disons, à la philosophie) et la lecture permetterait d’approfondir (disons, expliquer Heidegger). La première possède la faculté de nous introduire (séduire) à des sujets qui peuvent ne pas nous intéresser à priori. Mais quand il s’agit d’approfondir, le média s’embourbe dans sa lourdeur là ou l’écriture peut chercher des nuances que seul l’esprit (pas les yeux ou les oreilles) peut capter.

    Ceci dit, si on s’en tient à la connaissance large (par opposition à la connaissance profonde) le multimédia peut faire l’affaire un certain temps…

  • J’aime bien cette idée de Martin, à savoir que « le vidéo, par sa portée émotive, permet d’ouvrir des portes de l’esprit que la linéarité du texte maîtrise moins bien.

    Ce qu’il souligne, par rapport à l’approfondissement de la pensée par le mot, est généralement vrai. Mais pas autant qu’on voudrait le croire. Cette perception est largement due à notre éducation, laquelle est largement conditionnée par l’alphabet. Par conséquent, nous n’avons pas appris à bien regarder les images, ni à bien écouter les sons. À ce sujet, les tribus analphabètes en auraient long à nous apprendre. Il faut dire qu’on a bien peu de temps pour s’arrêter à ce genre de considérations.

    Il y a des choses que les mots sont impuissants à expliquer, mais que l’image et le son réussissent très bien à exprimer ; souvent, elles sont d’une profondeur inaccessible à la raison et aux mots. Hegel, par exemple, disait de la musique que « ce qu’elle sollicite est l’ultime intériorité subjective comme telle ; elle est l’art de l’être intime qui s’adresse immédiatement à l’être intime lui-même. » De là vient notre incapacité, souvent, à décrire une musique.

  • Lors de ma formation initiale comme enseignant, un de mes profs m’avaient obligé — le vilain saligoth — à lire et, partant, découvrir le formidable Alberto Manguel. Je me souviens entre autres de l’étude qu’il faisait de l’évolution des supports du texte et de ce genre de retour un rouleau de parchemin que nous vivions en faisant défiler le texte sur un écran d’ordinateur comme s’il s’agissait en fait d’un rouleau de texte. Il soulignait aussi les sauts d’un texte à l’autre que permettaient (voire favorisaient) les liens hypertextes, saut qui, par conséquent, font vivre une intertextualité qui peut être des plus riches… La lecture, le texte change aussi de forme… changements qui ont aussi leurs implications. Et ce, même parler des multimédias… (A. Manguel, Histoire de la lecture, pour ceux d’entre vous qui n’auraient pas le plaisir de connaître cet Argentin, ami de Borges et qui, depuis quelques années, est devenu citoyen Canadien)



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