De l'importance de la beauté

Si les cultures orientales nous paraissent distantes, c’est qu’elles accordent une large place à l’immatériel. Elles sont bien loin de la raison pure, du positivisme et du pragmatisme qui caractérisent l’Occident, lequel glorifie d’abord l’efficacité et la performance, deux qualités qu’on associe également aux machines. Cela fait des sociétés puissantes, mais sans âmes. L’école n’y échappe pas, elle qui a relégué la morale et les arts dans les faubourgs, après avoir rasé la philo. Mal lui en prit, car elle ne forme qu’une partie partie du cerveau. …

Notre système d’éducation est obsédé par le développement des connaissances, des habiletés et des compétences. Dans la plupart des cas, on fait appel à l’hémisphère gauche du cerveau, c’est-à-dire à la logique et à la pensée analytique. Ce faisant, on néglige le développement de l’hémisphère droit, centre de la pensée holistique, artistique et intuitive. Il en résulte des esprits qui présentent des lacunes. Pour certaines cultures, il s’agit d’un handicap.

Sans prétendre au pancalisme, il faut accorder une plus grande importance à la sensibilité esthétique. Les Japonais, par exemple, sont éduqués dans un environnement qui valorise la beauté, l’art et le design. Kathy Sierra, qui s’est maintes fois penchées sur la question, fait valoir les différences profondes qui en émergent. Arrêtez-vous, un instant, aux deux couvercles en tête du billet : remarquez comme le premier (américain) est couvert d’un asphalte usé, tandis que le second (japonais), en plus d’être beau, est immaculé. Ainsi, la beauté a sa propre forme d’efficacité.

Nous devrions peut-être, en effet, commencer à penser comme des designers. L’idée est d’ailleurs reprise dans un dossier du magazine Fast Company sur 20 grands designers industriels. Non pas que je veuille transformer les élèves en artistes du marketing, mais former des esprits plus épanouis et créatifs.

Les philosophes, en commençant par Plotin qui y voyait l’harmonie de la forme et de la matière, ont longuement considéré la beauté. Comment le leur reprocher ! Déjà, avec Saint-Augustin, on lui attribuait une connotation métaphysique. Aujourd’hui, on reconnaît qu’elle joue sur les émotions. Charles Ferdinand Ramuz, entre autres, disait que « la beauté ne se prouve pas, elle s’éprouve. »

Les émotions occupent une place importante en éducation — du moins, elles le devraient. C’est grâce à elles, entre autres, que les choses prennent un sens personnel. Sans compter que la mémoire émotionnelle joue un rôle cardinal dans les décisions.

Il suffit d’observer les jeunes pour voir à quel point ils sont sensibles à la beauté. C’est une réaction instinctive au plaisir, et une preuve additionnelle que notre cerveau est conditionné à répondre plus instinctivement aux images qu’aux mots.

D’une certaine façon, cela explique pourquoi j’utilise un ordinateur Apple. L’interface graphique me captive, d’une part, alors que les appareils me séduisent. Par moment, je réalise que la contemplation de la beauté hypnotise et ralentit, tandis que la laideur, en provoquant la fuite, a un effet d’accélération.

Mise à jour, 20 juillet 2005 | Fernette et Brock Eide rapportent une étude neurologique qui établit, entre autres, une corrélation entre la beauté et la motivation :

Beauty is a powerful motivating and organizing factor for many creators and innovators, and when we look to see what is distinctive about the brain’s experience of beautiful things, we see that beauty activates a part of the brain associated with reward.

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6 réponses

  • Mes expériences les plus marquantes (deux seulement!) vécues à l’école le furent grâce à la beauté. La beauté des idées.
    Elles m’ont tellement marqué qu’aujourd’hui encore, à peu près toutes mes interventions auprès des gens tournent autour de la beauté de la connaissance. Beauté dans le style de Kundera, beauté dans la peinture de Miro, beauté dans les solutions aux problèmes mathématiques, beauté dans le raisonnement philosophique, beauté dans les fugues de Bach, beauté dans les mots de notre langue, beauté dans une combinaison échiquéenne, beauté dans un coup de billard, beauté dans un code de programmation, etc.
    Comment se fait-il que 99% de mes enseignants ne m’aient point fait « jouir » (jouissance : jouir du sens, comme le disait Lacan) de la connaissance. Comment se fait-il qu’après quelques années à l’école, intellectuellement parlant, on ne semble plus éprouver de plaisir à creuser un peu plus sa pensée et qu’on se retrouve avec des « répugances tenaces » (Rostand) ?
    Apprendre est un acte jouissif. J’ai parfois l’impression que l’école crée plus que son lot d’êtres intellectuellement frigides.
    Il est tellement important de « vibrer » à ce que l’on apprend, peu importe le contenu des apprentissages.

  • Dans la lignée de l’émerveillement à apprendre, ce billet à propos des jeunes enfants qui découvrent le monde qui les entoure…

    http://carnets.ixmedia.com/stephane/archives/008474.html

  • Gilles, surtout, et Stéphane élargissent le sujet à la beauté et l’émerveillement qui stimulent l’intellect. Je n’ai pas voulu aborder le sujet sous cet angle, de peur de le diluer. Néanmoins, je suis content qu’ils l’aient fait, ne serait-ce que pour préciser que c’est là l’essentiel de l’acte pédagogique.

    Mais c’est là également que réside le coeur du problème. La jouissance intellectuelle est un affect qui surgit de la relation d’un être à un objet (ou à un sujet en tant qu’objet). Trop d’enseignants ont cette manie de vouloir imposer aux élèves ce qui les branche personnellement. Mais est-ce qu’ils y mettent de la passion ? Pas toujours. L’environnement, il est vrai, s’y prête mal. L’émerveillement vient de la découverte. Le rôle de l’enseignant consiste en partie à créer des situations qui la facilitent : une sorte de maïeutique de l’action.

    Et je passe par-dessus les programmes de formation, débordants de contenus, qui obligent souvent les enseignants à précipiter les apprentissages. La beauté, j’insiste, demande qu’on s’arrête.

  • Gilles BUI-XUAN dit :

    Force, sagesse, beauté ! La pédagogie conative montre que la mobilisation de l’élève ne suit pas un cursus linéaire, mais que ce qui le pousse à agir, et donc à apprendre et progresser, ne repose pas toujours sur les mêmes composantes dominantes. En fonction des étapes conatives l’engagement se fera d’abord en force en mobilisant majoritairement la structure (et la force excluera la beauté); les solutions fonctionnelles viendront ensuite attiser la curiosité de savoir comment ça marche (et là encore la beauté ne peut advenir qu’en résultat mais pas en mobile); ce n’est qu’à partir de la troisième étape conative, technique, que la beauté peut soutenir un modèle à reproduire (savoir-faire, connaissance, technique, etc.). La complexité des étapes suivantes ne pourra exclure la beauté, et la performance sera d’autant plus importante que la beauté (ou plutôt les différentes formes de beauté) aura été abordée à l’étape précédente.
    Mais s’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises méthodes pédagogiques, mais seulement des méthodes plus ou moins bien adaptées à l’étape conative dans laquelle se situe l’élève dans une activité, alors la beauté devient un passage obligé dès lors que l’on se focalise sur les apprentissages.
    Gilles.

  • Intéressant, cette intégration progressive de la beauté dans les « étapes conatives de l’engagement » qui n’est pas sans rappeler la hiérarchie des besoins associée à Maslow. Merci de ce commentaire qui éclaire une nouvelle facette de la question.



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