Pourquoi je regrette de m'être échiné pour des A


LaelWorkerBee.jpgLes illusions viennent du ciel et les erreurs viennent de nous. (Joseph Joubert)

Les apprentissages durables sont tout, et les bulletins ne sont rien; à moins, bien sûr, d’aspirer à une profession horriblement contingentée comme la médecine, ou heureusement comme le droit. Pour faire démordre les élèves des notes, je raconte l’anecdote de ma propre obsession pour les résultats, alors que pendant quatre longues années d’université je me suis tué à maintenir une moyenne supérieure à ‘A’. Malgré un ‘E’ à la suite d’une erreur administrative, j’obtenais enfin la note convoitée, avec la distinction magna cum laude. Quel ne fut pas mon désenchantement en constatant qu’aucun employeur ne désirait voir mon bulletin.

J’ai donc esquissé un sourire en apercevant le titre d’un billet qui résume exactement ce que je pense de ma quête de notes (Brazen Careerist : Twentysomething: Why I regret getting straight A’s in college). Jon Morrow présente cinq raisons pour lesquelles il regrette d’avoir remué ciel et terre pour des ‘A’ :

    1. Personne ne m’a jamais demandé ma moyenne générale.

    2. Je n’ai pas dormi.

    3. J’ai oublié 95 % de ce que j’ai appris.

    4. Je n’avais pas de temps pour rencontrer du monde.

    5. L’expérience de travail est plus utile.

Aux raisons évoquées par Morrow et que je seconde en grande partie, j’ajoute personnellement celles-ci :

    6. J’ai remisé ou sabordé des passions. Je suis arrivé à l’université outillé de plusieurs passions (littérature, lexicographie, sport, dessin, art, biologie, etc.). L’obsession pour les résultats officiels m’a obligé à abandonner pendant cinq ans des domaines auxquels je ne suis retourné plus tard que comme spectateur. Quant aux passions abordées dans le cadre de mon champ d’études, le traitement en classe était d’une telle aridité qu’elles en ont été émoussées.

    7. J’ai acquis des habitudes néfastes. Il m’a fallu des années pour me défaire de mauvais plis tels que la prise de notes linéaires, le travail en solitaire, et une stupide gestion de temps qui investit des heures dans une tâche pour un maigre gain en retour. Je n’avais encore rien compris à la rentabilité du temps.

    8. On m’a conditionné à la servilité. Tout ce temps à lire ce que nous demande de lire, à croire ce que l’on veut qu’on croit et à faire ce que le professeur attend de nous, sans relâche, a été un pur abrutissement. J’en suis sorti la tête bien pleine, mais mal faite, pour reprendre le mot de Montaigne (un humaniste, est-il besoin de le rappeler?). Là encore, il m’a fallu des années pour me défaire de ces chaînes et oser défier l’ordre établi.

Je n’ose calculer le nombre d’heures que j’aurais gagnées à me contenter d’un ‘B’ plutôt que de poursuivre la chimère d’un ‘A’. La Loi de Pareto a fait son oeuvre, alors que j’ai investi 80 % de temps additionnel pour un gain de 20 % dans les résultats, une sorte de courbe exponentielle avec les notes en abscisse et le temps en ordonnée (très ordonné). Et cela, alors qu’on est dans la force de l’âge et que l’esprit est mûr pour découvrir de nouveaux horizons. Les riches l’ont depuis longtemps compris : les voyages forment la jeunesse.


(Image thématique : Worker Bee, par Constance Lael)


Par ricochet :

Lequel est le meilleur gage de réussite ? le Q.I. ou l’effort ?

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Compétences et connaissances inutiles

La revendication des notes : A pour agressivité

Les risques du perfectionnisme

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11 réponses

  • Ouaoh tellement vrai et plein de bon sens tout cela.

  • Ce temps-là à courir pour les A n’est pas perdu, au contraire. Même si l’on oublie 95 % de ce que l’on apprend, celui qui a appris 10 fois plus qu’un autre qui court la galipote aura toujours 10 fois plus de connaissances et de méthodes de travail.

    Remarquez que je suis mal placé pour parler. Je perds quasi tout mon temps sur des blogues, à en lire ou en écrire, à surfer sur Internet et je n’ai jamais obtenu de notes A, sauf en sciences et mathématiques. Ce qui ne me sert strictement à rien aujourd’hui. À moins que je ne m’en rende pas compte, comme ceux qui regrettent d’avoir sacrifié leur jeunesse à la poursuite de l’excellence scolaire?

  • cfd (circacfd.com) dit :

    Dois-je révéler ici que j’ai eu un F en Initiation à la micro-informatique à l’Université?

    (et moi non plus personne ne m’a jamais demandé mon bulletin!)

  • Ah, mais c’est qu’il n’y a pas seulement à courir la galipote durant le temps gagné! Et si cela était, la jouissance n’en est que plus grande :-)

    @ Carl-Frédéric : Et moi qui croyais que c’était toi qui donnais le cours!

  • Je ne regrette rien : c’est un apprentissage sur lequel je m’appuye aujourd’hui pour avancer et construire…toi aussi je crois ! :-)

  • Très bon article plein de bon sens… :)

  • Michel Desbiens dit :

    Très intéressant François,

    J’ai fait exactement le contraire. Je suis même déjà sorti après 20 minutes à un examen universitaire de 3 heures parce qu’il m’apparaissait d’aucune utilité personnelle.

  • Je reste bouchebé devant la déclaration de Michel Desbiens… c’est ce eu’on appelle être fidèle à ses idées!

  • J’étais de ceux qui sont toujours les premiers… à l’école.

    En 1re secondaire, à la 2e ou 3e étape, une élève avait eu plus que moi en français. L’enseignant arrive alors et me demande si je savais que cette élève avait obtenu un résultat supérieur au mien à la dernière étape. J’ai répondu, d’instinct : Ouais, pis ?… ce qui l’a littéralement laissé bouche bée, car il ne s’attendait surtout pas à cette réponse.

    Par la suite, j’ai quand même continué d’être premier du niveau, sans trop d’efforts… jusqu’en secondaire 3. Est alors arrivée dans l’école une autre élève qui battait mes scores par 1 ou 2 %.

    Devant la réaction de quelques élèves ou d’enseignants qui se posaient des questions sur ma «glissade» au 2e rang, j’ai tout simplement mentionné, avec une certaine candeur je crois, qu’il ne valait pas la peine d’investir des heures de travail de plus pour 1 ou 2 % de plus au bulletin, point. J’avais déjà 2 emplois à part l’école (travail à l’épicerie de mon père et travail de musicien les fins de semaines à partir de l’âge de «presque 13 ans» – à l’épicerie, c’était bien avant 13 ans…), alors la gestion de mon temps était déjà primordiale…

    Sans le savoir, j’avais déjà découvert la loi de Pareto !

    Aujourd’hui, c’est la correction qui m’éloigne des choses auxquelles je voudrais passer plus de temps… Il me faudra trouver le point d’équilibre selon Pareto ou selon moi-même ;-)

  • Merci pour cet article, il rejoint ma philosophie face à l’éducation et met des mots sur ce que nous vivons depuis plusieurs années avec notre ado de 14 ans qui est éduqué à domicile depuis 5 ans. Il fait, en ce moment, son secondaire IV, du piano, des cours de philosophie au cégep et a 3 emplois. Peu lui importe une éventuelle note sur un éventuel bulletin. Il développe des « compétences » et est largement plus équilibré que bien des jeunes de cet âge.

  • De notre côté, à l’université les notes se disaient comme suit : A = accident ; B = Bon ; C = Correct ; D = Diplôme ; E = Échec. Il nous faisait plaisir de se le rappeler chaque fois qu’un prof nous disait qu’il fallait autre chose que d’aller chercher des hauts résultats. Je ne crois pas que nous soyons des moins bons enseignants puisque nous n’avons pas conservé une moyenne de 4,33.
    Même plus jeune, les enseignants me comparaient à mes frères, qui avaient parfois les meilleures notes – tout cela jusqu’à ce que l’on réalise qu’il y avait autre chose que l’école dans la vie. Il est plus intéressant de lire pour le plaisir que de lire quelque chose d’imposé, n’est-ce pas?



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