La ghettoïsation de l'école publique québécoise


TurzakGhetto.jpgIl a fallu cent ans pour effacer les discriminations les plus criantes entre les hommes et les femmes, mais qu’attend-on pour abroger celles qui restent? (Benoîte Groult)

C’est une mesure de l’incompétence du ministère de l’Éducation sous ce gouvernement que l’acharnement ubuesque à chicaner sur la valeur d’un chiffre ou d’une lettre sur un bulletin. Le ridicule semble en échapper à la ministre qui, en apparence, a subordonné le MELS à son ministère de la Famille. Quand je constate toute l’encre que la question du bulletin fait couler, mais surtout toute l’énergie consumée dans le réseau scolaire, j’en ris aux larmes. De toute évidence, il y a des questions plus pressantes, telles que la violence dans les écoles, et plus importantes, comme l’éducation aux nouvelles technologies et les enjeux sociaux du fossé grandissant entre les écoles publiques et privées.

À ce dernier sujet, Le Devoir publie trois articles sur l’état du phénomène au Québec :

- La saison des choix: au privé par peur du public : « Selon le professeur Claude Lessard, de la faculté d’éducation de l’Université de Montréal, l’engouement pour le privé est surtout attribuable à une volonté des parents d’apaiser leurs inquiétudes. “Les parents veulent minimiser les risques à « lâcher lousse » des adolescents dans un univers où ils sentent que quelque chose va leur échapper. [...] Le privé, à tort ou à raison, est rassurant”. »

- Montréal – Un élève du secondaire sur trois va au privé : « Relativement stable à la fin des années 1990, le nombre d’inscriptions dans les écoles privées croît en moyenne de 2,5 % par année depuis cinq ans, selon la Fédération des établissements d’enseignement privé (FEEP). »

- Quand papa a les moyens de bouder Jean-de-Brébeuf : « “Les gens très fortunés boudent même le collège Jean-de-Brébeuf”, dit le professeur Jean-Guy Blais, de la faculté des sciences de l’éducation à l’Université de Montréal. “Ils préfèrent envoyer leurs enfants dans les meilleurs établissements de la Nouvelle-Angleterre ou à Londres, carrément.” »

J’ignore s’il s’agit d’une coïncidence, mais l’augmentation de 10 à 12 % en cinq ans de la la clientèle des écoles privées correspond à l’augmentation de l’immigration (source : Institut de la statistique du Québec; PDF). Si la vague d’immigration éperonne un tant soit peu l’exode vers les écoles privées, et certains motifs évoqués par les parents portent à le croire, nous avons alors un fichu problème social qui ne fera que s’envenimer si rien n’est fait. Le cas des États-Unis et de la France nous rappelle d’éviter la ghettoïsation à tout prix. La fracture de fait entre les riches et les pauvres n’est rien en comparaison du déchirement causé par les tensions raciales et religieuses.

Or, l’école constitue un puissant foyer d’accommodement. Le clivage de sa clientèle prévient le rapprochement social et pousse à la ghettoïsation.

Je m’inquiète, par ailleurs, de l’attitude de ces parents qui disent préférer l’école privée pour mieux préparer leurs enfants à un monde de compétition. Considérant l’ampleur des problèmes auxquels le monde est confronté, l’heure n’est plus à la compétition, mais à la collaboration.

La ruée vers les écoles privées découle en partie de l’enrichissement collectif des Québécois. Par conséquent, il est temps de reconsidérer la part de la subvention gouvernementale pour les élèves qui fréquentent une institution privée. Peut-être le moment est-il venu de transférer une partie des 2900 $ et 3700 $ (au primaire et secondaire respectivement) au secteur public qui en a grand besoin.

L’autre solution envisageable consiste à faciliter l’accès aux écoles privées, de façon à ce que les murs des classes ne s’érigent pas aussi entre les classes sociales. La jeunesse est trop précieuse pour s’envenimer des préjugés adultes.


(Image thématique : Ghetto, par Charles Turzak)


Par ricochet :

Des écoles publiques à deux vitesses

Étude : les élèves ne réussissent pas mieux au privé

La perte de crédibilité des écoles

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3 réponses

  • Félix GG dit :

    Contrairement à ce que dis François, je ne réajusterais pas les subventions données aux parents qui envoient leur jeune au privé, je l’oterais carrément! Je ne comprend pas pourquoi l’argent des contribuables, donc du publique, irait au domaine privé…

  • Ah, la fougue de la jeunesse! Il ne faut pas perdre de vue que les parents qui envoient leurs enfants dans les écoles privées sont aussi des contribuables et qu’ils ont droit à une part de l’argent que l’État verse pour l’éducation des enfants. La subvention de l’État représente déjà beaucoup moins que ce qu’il lui en coûte pour les élèves qui fréquentent l’école publique. Par conséquent, le réseau des écoles privées constitue une économie importante pour l’État.

  • Solution audacieuse que celle proposée en conclusion! Et pourtant… Le Québec flirte abondamment avec le privé dans plusieurs domaines comme ceux de la santé, des travaux publics, des communications et j’en passe : l’argent des contribuables serait ainsi mieux géré, nous dit-on, lors de l’annonce de projets comme le prolongement de l’autoroute 25 ou la construction de méga-hôpitaux… Pourquoi le domaine de l’éducation ferait-il exception?



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