Nationaliser Internet

LanskoyVentConvoyeur.jpgLe doute est l’ennemi des grandes entreprises. (Napoléon Bonaparte)

Je désenchante de Vidéotron depuis quelque temps. D’abord, mon service Internet souffre régulièrement d’interruptions de service qui me font grimper dans les rideaux. Et puis, il y a cette décision récente d’imposer une limite de téléchargement aux abonnés du service illimité (Le Devoir : Recours collectif contre Vidéotron) pour laquelle Guillaume Boudreau a conçu un Dashboard widget (Mac) qui permet aux abonnés de garder un oeil sur le cumul des téléchargements. Quant à Bell, un ami est au désespoir, lui qui n’a d’autre choix en raison de sa situation géographique.

Un service aussi important que les communications Internet ne peut pas dépendre uniquement de l’entreprise privée, surtout des gloutons comme Québecor et Bell. Les autoroutes de l’information ne sont pas moins nécessaires que le réseau routier. Le jour où les premières seront plus vitales que le transport automobile n’est pas si loin. Il aura fallu des visionnaires tels que René Lévesque et Jean Lesage pour nationaliser le secteur électrique en créant Hydro-Québec.

Il ne s’agit pas de faire d’Internet une vache à lait au même titre que l’hydro-électricité. Il s’avère vital, toutefois, d’assurer l’essor de la province en maintenant un réseau de communications à la fine pointe de la technologie. Dans un contexte de compétitivité mondiale, c’est sans doute le meilleur moyen de passer à une économie de la créativité. Des infrastructures ultramodernes attireraient les investissements dans un secteur de pointe et étendraient aux régions les parcs technologiques principalement concentrés dans les milieux urbains, une façon de parer à l’exode rural.

Confier à l’État le mandat du service Internet déblayerait les principaux obstacles aux zones wi-fi. La première province à se doter d’un réseau wi-fi constituerait non seulement un atout économique, mais aurait un impact certain sur l’émergence de cités éducatives.

Le service sera gratuit, du moins pour les individus, au même titre que l’éducation. L’apprentissage ne se limite plus à l’école, mais est l’affaire d’une vie. La formation continue s’avère désormais un projet de société. L’État encouragera le source libre afin de favoriser l’accès aux technologies de l’information pour les moins fortunés. Un ordinateur sans fioritures, après tout, ne coûte guère plus qu’un poste de télévision.

Le gouvernement verra également à la protection de l’identité et des données personnelles en ligne. Les droits des internautes seront enchâssés dans la Charte des droits et libertés de la personne et protégés par la loi, du moins pour ce qui est des fournisseurs de service établis dans la province. Le monde a besoin d’un lieu sûr où les internautes peuvent conserver leurs données personnelles en toute sécurité. Avec un peu de discernement, le Québec pourrait devenir la Suisse des banques de données virtuelles.

Pareille politique devra nécessairement être jumelée à une véritable intégration des nouvelles technologies en éducation. Je ne parle pas ici de cours explicites aux TIC, mais d’une utilisation sensée et méthodique à des fins d’efficacité, de la même façon dont on doit s’interroger sur la valeur du crayon et du papier sans préjugé favorable.

Une éducation sensée à l’utilisation des nouvelles technologies ne bénéficierait pas seulement ce secteur de l’industrie. En plus de contribuer à la formation citoyenne et continue, elle stimulera tous les secteurs qui exploitent les nouvelles technologies, de l’agriculture à la voirie. Pour de réels projets collectifs, il faut des moyens de communication interactifs. L’hydro-électricité, c’est bien; l’énergie humaine, c’est mieux.

Mise à jour, 29 août 2007 | Un ajout a été fait au paragraphe 6, relativement à l’idée d’innover dans la protection des données virtuelles.

Mise à jour, 2 octobre 2007 | Dans le même ordre d’idée, Gilberto Gil, le ministre brésilien de la culture, plaide pour la gratuité de la société numérique afin de permettre aux plus démunis l’accès à l’information qui pourrait leur permettre de sortir de leur misère (CNet : Brazil’s minister of culture calls for free digital society).

Mise à jour, 24 juillet 2008 | Tiens, Stephen Downes me fait connaître un autre blogueur, Alex Reid, qui croit qu’Internet devrait être nationalisé (Digital Digs : Should the web be nationalized?). Ça m’encourage.

Mise à jour, 18 janvier 2009 | Dans un commentaire sur Twitter, Sylvain Bérubé a raison de souligner que la valeur d’Internet dépasse le coût de la bande passante. Le connectivisme est riche d’une valeur collective immensurable.

Mise à jour, 10 avril 2009 | À défaut de nationaliser les services internet, Stephen Downes enjoint le gouvernement de développer les infrastructures qui les supportent, d’autant plus que le Canada commence à tirer de l’arrière sur ce plan. (Stephen’s Web : What Does Broadband Mean?)

Mise à jour, 13 avril 2009 | Un article du New York Times (Should Online Scofflaws Be Denied Web Access?) fait le point sur les positions prises par diverses instances gouvernementales en reconnaissance de l’accès à internet en tant que droit. Or, si internet est un droit, peut-on en laisser la gestion des infrastructures au privé?

Mise à jour, 18 avril 2009 | Stephen Downes souligne à juste titre que les grandes compagnies ont un intérêt commercial à limiter la bande passante de ses abonnés afin de ne pas cannibaliser un autre service (Stephen’s Web : Will Bandwith Caps Be the Next Battle for Network Neutrality) :

Rogers currently has a bandwidth cap that does not impact me, but if I were to start streaming movies it might. So this is a concern to me, especially as Rogers has a vested interest in keeping me watching television (just as Bell, Telus and Aliant have a vested interest in keeping people making long distance phone calls). I have to agree with Bill St. Arnaud: « Internet connection advancement in the U.S. and Canada has been purely an interest of the corporations that provide them and not about serving the consumer– you–and the advancement of technology in America in general. »

Mise à jour, 16 mai 2009 | En réaction au retard grandissant que le pays accuse en matière d’infrastructures Internet (Le Devoir : La fracture numérique), un groupe de pression s’est formé dans Facebook pour aiguillonner le gouvernement (Le Devoir : Faire d’Internet un service essentiel). Je ne pense pas que Jean Charest ait ni la vision, ni les couilles pour aller jusqu’à nationaliser les infrastructures de la province. Par conséquent, l’idée de laisser la porte entrouverte à une collaboration avec le secteur privé s’avère une stratégie intéressante pour que l’idée obtienne audience au cabinet des ministres, mais je demeure persuadé que les enjeux sont trop importants pour dépendre des velléités des investissements privés.

Mise à jour, 01 juillet 2009 | Dans un texte d’opinion publié dans le quotidien The Star (Connecting Canada to the digital world), Michael Geist, professeur de droit à l’Université d’Ottawa et détenteur de la Chaire de recherche canadienne des lois Internet et du commerce en ligne, fait plusieurs recommandations pour une politique nationale des nouveaux moyens de communication. Quoiqu’il ne va pas aussi loin que de proposer une nationalisation des principales infrastructures, les recommandations de Geist s’inscriraient très bien dans une telle politique, entre autres pour ajouter au sérieux de l’entreprise.

Mise à jour, 01 juillet 2009 | Le Canada devrait prendre exemple sur la Grande-Bretagne. Dans un geste inusité, le premier ministre du Royaume-Uni, Gordon Brown, a publié un texte d’opinion dans le Times (The internet is as vital as water and gas) dans lequel il défend le virage technologique dans lequel son gouvernement s’apprête à engager le pays. Malheureusement, Stephen Harper n’a ni cette clairvoyance, ni ce leadership.

Mise à jour, 08 février 2010 | Le CRTC entend mener des audiences à l’automne pour examiner la possibilité d’obliger les fournisseurs de service Internet à desservir les zones rurales (Globe and Mail : CRTC may require Internet providers to improve rural access). Or la question de l’exode rural est un sujet trop important pour dépendre de la profitabilité des services privés. Les services internet sont non seulement un facteur pour rompre l’isolement que les jeunes ressentent en région, mais sont indispensables à l’essor économique local.

Mise à jour, 07 mars 2010 | Selon un sondage de la BBC, près de 80 % de la population mondiale voit en Internet un droit fondamental (BBC : Internet access is ‘a fundamental right’). Puisqu’un droit est largement une question de consensus social, il est effectivement permis de constituer en droit l’accès à Internet. Or, on reconnaît à l’État un rôle dans la gestion des droits fondamentaux et, par conséquent, la légitimité d’intervenir dans la gestion de ce droit.


(Image thématique : Le Vent convoyeur, par André Lanskoy)


Par ricochet :
Société éducative
L’impact éducatif d’une ville sans fil
Les TIC : un indicateur de réussite scolaire
Le passage à une économie de la créativité
La neutralité d’Internet menacée
Un pays entier couvert en wi-fi
Le Web est maintenant le média no. 1
Pourquoi le Web change tout
Le Canada, un pays de médiocrité (Conference Board)
La créativité et apprendre à apprendre

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2 réponses

  • Wow!

    Merci.

  • Personnellement, je n’aurais aucune difficulté à vivre avec un « Fournisseur Internet : Gouvernement du Québec ». Même affiché sur mon site!

    En fait, il y a aussi le contrôle que les citoyens pourraient se garder sur les services offerts par « Québec Internet ». Je pense entre autres à la question de la « Web neutrality » ou même de l’information que peut être appelé à transmettre un fournisseur à des agences de sécurité. Les citoyens devaient – en théorie – avoir un peu plus de contrôle sur les décisions qui y sont prises.

    La proposition est loin d’être absurde. On oublie souvent qu’il existe des outils collectifs qui ont été vachement utiles dans le passé…

    Petite anecdote : au printemps dernier, lors de ma visite au colloque de l’Association québécoise de la pédagogie collégiale, l’hôtel où je résidais imposait des frais d’accès à Internet de l’ordre de 12 ou 14$ par jour! Bien entendu, j’ai dû débourser. La frustration de payer un tel montant pour quelque chose qui me semble aussi vital que la communication, que mon accès au monde m’est un peu resté dans la gorge.



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