Compétences en lecture, décrochage et suicide


Les adolescents qui éprouvent des difficultés en lecture sont trois fois plus à risque de se suicider, et six fois plus de décrocher de l’école. C’est l’étonnante conclusion d’une étude publiée dans la revue Journal of Learning Disabilities et réalisée par des chercheurs du Wake Forest University Baptist Medical Center (EurekAlert! : Poor readers have higher risk of suicidal thoughts and behaviour). De plus, les chercheurs ont dénoté une corrélation entre le décrochage et les pensées suicidaires. Il semble y avoir une cascade de causes à effets entre les difficultés de lecture et le décrochage, puis entre le décrochage et le suicide.

Par ricochet :

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Lecture : les caractéristiques d’un enseignant efficace

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15 réponses

  • Luc Papineau dit :

    Plusieurs pistes de réflexion sont ouvertes avce cette étude, mais je me demande si on peut effectuer un lien entre suicide et lecture.

    L’enfant, prisonnier de ses difficultés en lecture et dans ses capacités à appréhender en quelque sorte une réalité, serait-il plus démuni que d’autres? Mon intuition m’a toujours amené à penser que oui.

  • C’est aussi mon avis. Hormis les effets d’une perception d’incompétence sur l’estime de soi, je suis persuadé que la lecture, et particulièrement la littérature, ouvre des fenêtres inestimables sur la compréhension du monde et de soi. Les êtres fragiles en ont certes plus besoin que les autres pour affronter la dure réalité.

  • Luc Papineau dit :

    M. Guité,

    Alors, je vais me permettre de pousser plus loin. En accordant pas autant d’importance à l’enseignement du français, notamment en ce qui a trait à la lecture, et en étant si peu exigeants quant à la maîtrise de la langue maternelle, ne formons-nous pas des individus démunis intellectuellement et émotivement? Les ratés de l’enseignement du français au Québec n’entraînent-ils pas avec eux des effets plus importants qu’on serait tenté de le croire?

    Qui plus est, une partie de la détresse masculine ne trouverait-elle pas sa source, entre autres, dans le fait que les jeunes garçons sont moins habiles en français?

    Il ne s’agit évidemment pas d’affirmations, mais de pistes de réflexion.

  • Alors là, on s’engage sur un terrain glissant. Primo, parce qu’on plonge plus loin dans les hypothèses. Secundo, parce qu’on risque de bifurquer vers une autre dispute entre réformistes et tenants de l’enseignement explicite. Ultimo, parce que je ne suis pas tout à fait d’accord avec les prémisses de départ.

    Votre réflexion se défend fort bien. La mienne diffère, sans pour autant prétendre à la supériorité.

    Vous avez raison d’affirmer que l’on n’accorde pas assez d’importance à l’enseignement du français. Mais en ce qui me concerne, la solution ne réside pas nécessairement dans l’augmentation du temps d’enseignement, mais plutôt dans l’intégration interdisciplinaire de la qualité de la langue. Je vous accorde cependant que l’on a encore bien des croûtes à manger avant d’en arriver là.

    Par ailleurs, je ne suis pas certain que la faible maîtrise de la langue soit entièrement imputable à l’école. La société et la culture des jeunes, qui représente un phénomène social en soi, y ont aussi une part de responsabilité.

    Ce n’est pas, précisément ce que vous dîtes. Veuillez m’excuser cet aparté. Votre propos tient davantage au fait que l’école n’est pas assez exigeante « quant à la qualité de la langue maternelle ». Alors là, je suis d’accord avec vous. Cela me ramène cependant à la solution de l’intégration de la qualité de la langue dans toutes les disciplines scolaires.

  • Luc Papineau dit :

    M. Guité,

    Rassurez-vous: nous éviterons la traditionnelle dispute autour de la réforme. D’aussi longtemps que j’enseigne, donc bien avant le renouveau, la lecture a toujours été un parent pauvre en français.

    Les profs passent plutôt leur temps à enseigner de la grammaire pour combler des lacunes que les élèves ne se sentent pas le besoin de corriger à la fois parce que, tant au primaire qu’au secondaire, les exigences d’évaluation leur permettent de réussir en écriture sans trop maîtriser leur langue, mais aussi parce qu’il n’y a pas de véritable pression sociale et familiale quant à la maîtrise de celle-ci. Au Québec, on est de sacrés tartuffes… Notre société n’en est pas renude là.

    Quant à l’idée d’intégrer la qualité de la langue dans toutes les matières, cette avenue, bien que logique et pleine de bon sens, me semble irréaliste. En effet, vous conviendrez avec moi que ce ne sont malheureusement pas tous les enseignants qui ont une maîtrise suffiante de la langue.

  • « vous conviendrez avec moi que ce ne sont malheureusement pas tous les enseignants qui ont une maîtrise suffisante de la langue. »

    Comme vous avez raison ! Triste réalité. Dans l’état actuel de l’apprentissage de la langue, ce n’est pas près de s’améliorer. Il faut toutefois reconnaître que la langue est vivante et changeante.

  • Pour employer le vocabulaire de nos amis psychanalystes, je dirais que les difficultés d’apprentissage de la lecture sont toujours un symptôme.
    Symptôme d’abord d’une difficulté avec la langue (française). Il est étrange de vouloir remédier aux difficultés d’apprentissage de la lecture sans parler de la maîtrise de la langue. Et sur ce point, je ne suis pas sûr de toujours bien suivre mes correspondants québecois dans la confiance démesurée qu’ils semblent accorder à l’outil informatique.
    Ce qui nous amène à considérer en outre le rapport au langage lui-même comme moyen privilégié de communication avec les autres. Nous avons besoin de la parole de l’autre davantage que du pain, et sans doute bien davantage encore que de l’ordinateur. Et quand cette parole nous manque, ce n’est pas seulement notre capacité d’apprendre à lire qui s’en trouve affectée, c’est aussi bien notre envie de vivre.

  • « Nous avons besoin de la parole de l’autre davantage que du pain, et sans doute bien davantage encore que de l’ordinateur. »

    Je suis bien d’accord. Ce qui est remarquable avec la lecture, c’est que, justement, on puisse y trouver cette « parole de l’autre » qui manque à notre vie.
    Combattre la pauvreté par la lecture est, me semble-t-il, une noble cause.

  • Ce genre d’étude est statistique: complètement à côté de la recherche des causes. Ils ont pris un groupe de 188 adolescents et ils ont regardé qui a des idées de suicide et parmi ces derniers, quel est leur niveau de « reading ability ». L’effet principal de cette étude, c’est que maintenant ces personnes sont marquées: elles ne savent pas assez bien lire et en plus elles veulent se supprimer.
    Mais, le problème, c’est que cette étude aurait aussi bien pu compter combient parmi les suicidaires avaient de chaussettes vertes. On aurait alors eu une conclusion du genre: ceux qui portent des chaussettes vertes ont plu d’idées de suicide.
    Et c’est tout! C’est une photographie, pas une explication !

  • Le commentaire de Christian, appuyé par Gilles, est fort pertinent et porte à réflexion, en raison des valeurs fondamentales qu’il aborde. Par conséquent, je ne puis qu’être entièrement d’accord sur le fond. La langue, tant parlée qu’écrite, constitue sans doute la trame de notre tissu social, en plus d’assurer le rapprochement indispensable à l’Humanité.

    D’une part, il souligne les limites de la recherche empirique qui focalise trop souvent sur des éléments si pointus qu’elle tend à les dénaturer. Ce genre de recherche doit toujours être situé dans une analyse plus holistique du sujet. Le commentaire d’Ophéllie, va également dans ce sens, quoique son argumentation est excessive (il est fort probable qu’une corrélation entre le suicide et les « chaussettes vertes » n’eut pas été significative).

    Pour revenir à Christian, sa remarque quant au penchant des Québécois (du moins plusieurs blogueurs technophiles) pour chercher des solutions dans les TIC a de quoi piquer. D’une part, le contexte nord-américain semble fort différent par rapport aux nouvelles technologies de l’information. De plus, la langue n’y est pas aussi valorisée qu’en France, tant sur le plan de la grammaire que du vocabulaire (et pas seulement à l’école). L’essence de la question demeure sa finalité, c’est-à-dire éduquer les jeunes à la qualité de la langue, dans une perspective de rapports humains, comme l’exprime si bien Christian. Les TIC ne constituent qu’un moyen parmi tant d’autres. La question corollaire est de savoir si les TIC y contribuent favorablement ou pas. Personnellement, je crois que oui, ne serait-ce qu’au regard de la motivation.

    En guise d’exemple, je suis fasciné de tout ce que les jeunes écrivent sur leur blogue scolaire. On y trouve encore beaucoup de fautes, mais le plus important est d’y constater une amélioration. La pratique de l’écriture y est pour beaucoup. Avec les commentaires des uns et des autres, et après insistance, en plus de leur montrer des stratégies d’écriture et des outils (technologiques) pour en améliorer la qualité, cela devrait s’améliorer encore davantage.

  • Tout à fait d’accord avec Ophélie. Premièrement, l’échantillon est trop petit pour parler d’une véritable corrélation. Deuxièmement, corrélation ne veut pas dire causalité. Ça peut vouloir dire que les deux effets ont un ensemble de causes similaires, causes qui peuvent se situer bien loin. D’ailleurs, je mettrais ma main au feu que la proportion de personnes éloquantes, éduquées parmis le « êtres fragiles », ces « individus démunis intellectuellement et émotivement » qui ont mis fins à leurs jours, est la même que dans l’ensemble de la population.

    « il est fort probable qu’une corrélation entre le suicide et les « chaussettes vertes » n’eut pas été significative ». On voit ici le biais de toute étude statistique de genre : l’aspect significatif de la corrélation est jugée a priori. Bien sûr, l’exemple d’Ophélie est peut-être absurde, mais il illustre une faille réelle de l’étude.

  • Normand Peladeau dit :

    Je suis d’accord également avec la position d’orphéllie et de Marc André. Ce type de relation statistiquement significative mais factice est très facile à obtenir. Un exercice amusant que je faisais avec mes étudiants était de dresser une longue liste de différences entre deux groupes bien différents (les gens de milieux défavorisés et les riches, les gars ou les filles). Par exemple, voici une liste de faits connus:

    - Les enfants de riches ont moins de caries.
    - Les enfants de riches mangent plus de sushi.
    - Les enfants de riches mangent plus de crèmes glacées.
    - Les enfants de riches réussissent mieux à l’école (et décrochent moins).
    - Les enfants de riches vivent plus longtemps.
    - Les enfants de riches reçoivent de leur parent plus d’argent de poche.
    - Les enfants de riches voyagent plus souvent.
    - Les enfants de riches ont moins de comportements délinquants.

    Maitenant, si vous faites abstraction des classes sociales, et que vous mesurez dans une population générale toutes ces variables alors vous trouverez:

    Plus on consomme de sushi, plus on vit longtemps.
    Plus on consomme de sushi, mieux on réussit à l’école
    Plus on consomme de la crème glacée, moins on a de caries.
    Plus on a de caries, plus on est délinquants
    Plus on a voyagé, et moins on décroche de l’école.
    etc. etc. etc.

    C’est encore plus fascinant de faire ça avec le temps comme variable intermédiaire et ça donne des corrélations réelles telle la corrélation positive entre les taux de natalité dans les pays développés et la taille des populations de cigognes dans ces mêmes pays.

    Le plus difficile est de regarder les résultats d’une étude et d’identifier les variables intermédiaires pouvant expliquer cette corrélation. Dans cette étude, ils prétendent avoir contrôlé pour les variables sociodémographiques et psychiatriques. Ont-ils pris les indicateurs sociodémographiques les plus en lien avec ces deux variables. S’ils ne choisissent pas la bonne mesure sociodémographique ou si cette mesure comporte une erreur de mesure, alors il subsistera malgré tout une corrélation attribuable aux facteurs sociodémographique. Faudrait lire plus en détail l’étude pour le savoir.

    Les gens de

  • Souvent, je remarque, les gens partent d’une corrélation, par exemple celle qui existe en le décrochage et le redoublement, et concluent ipso facto à une relation de cause à effet. Dans ce cas précis, le plus loin qu’on peut aller, c’est de supposer que décrochage et redoublement sont deux effets d’une même cause ou du même groupe de causes. Alors, pour les difficultés en lecture et le suicide, j’aurais tendance à dire qu’ils sont sont comme deux individus louches qui se tiennent dans les mêmes bars, juste à côté des machines à video poker. Deux des nombreux personnages qui se côtoient dans le grand livre de la misère humaine. Quand ils se retrouvent au même endroit, au même moment, ce n’est pas toujours dû au hasard… C’est bien ça une corrélation positive, non ?

  • Évidemment, ce genre d’étude n’est pas à gober tout rond. Il faut faire la part des choses, et surtout ne pas sauter aux conclusions.

    Quant à la validité de la corrélation, la démonstration de M. Péladeau est assez éloquente (et celle de Michel pleine d’esprit). Je retiens surtout sa conclusion, à savoir qu’il « faudrait lire plus en détail l’étude pour le savoir. »

    Règle générale, j’ai tant de respect pour le travail des autres que j’évite de porter des jugements hâtifs. Enfin, il me semble.



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