Certaines habiletés mathématiques seraient innées


L’invraisemblable polémique sur le site de Gilles à propos du mérite de la méthode Défi mathématique oppose à nouveau les tenants de la recherche empirique et les praticiens riches de leur savoir-faire, le fruit de ce que je suis tenté d’appeler une recherche-action expérientielle. Étant nul en mathématique, je n’ose pas m’immiscer dans la discussion, quoique les doigts me brûlent. Je suis toujours étonné de la certitude avec laquelle les positivistes déclarent les choses, moi qui ai toujours cru que le doute était une qualité indispensable à un chercheur. Ainsi, une affirmation de M. Bissonnette semble être contredite par une recherche selon laquelle l’habileté à comprendre certaines notions mathématiques serait innée.

Dans le premier commentaire dudit billet, M. Bissonnette écrit :

Lyons considère l’apprentissage des maths comme un apprentissage naturel au même titre que parler, marcher, etc. Or, les travaux de David Geary indiquent que cette affirmation est fausse ! Pour preuve, les enfants qui sont dans des pays où l’école n’existe pas apprennent à parler et marcher mais pour les maths les apprentissages sont très très rudimentaires, nous sommes loin de la résolution de problème et de l’algèbre. Ces apprentissage s’apprennent par enseignement par l’école.

Or, une recherche récente par des chercheurs de l’Université Harvard laisse entendre que les enfants d’âge préscolaire peuvent saisir des abstractions numériques et des concepts mathématiques sans l’apport de l’école ou du langage (voire également l’article d’EurekAlert : Preschool children display innate skill with numbers, addition).

Is language or education the source of numerical abstraction? Claims to the contrary must present evidence for numerical knowledge that applies to disparate entities, in people who have received no formal mathematics instruction and cannot express such knowledge in words. Here we show that preschool children can compare and add large sets of elements without counting, both within a single visual-spatial modality (arrays of dots) and across two modalities and formats (dot arrays and tone sequences). [...] Abstract knowledge of number and addition therefore precedes, and may guide, language-based instruction in mathematics.

Il y aura certainement des chercheurs pour contredire ou jeter le doute sur cette étude. C’est de bonne guerre pour l’avancement de la science. Néanmoins, il serait souhaitable que les apôtres de l’empirisme descendent de leur piédestal afin de reconnaître le savoir expérientiel. Chaque méthode a ses limites. La vérité, je crois, ne peut être atteinte que par la synthèse des parties.

Bien modestement, j’espère avoir contribué un petit élément au casse-tête.


Par ricochet :

Recherche cognitive et individuation

La recherche connective

Étude quantitative (socioconstructivisme)

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11 réponses

  • steve bissonnette dit :

    Comme je l’ai mentionné certains apprentissages s’apprennent naturellement, ce que David Geary nomme des habiletés ou des compétences primaires comme le langage, mais des apprentissages plus complexes comme lire, écrire, résoudre des problèmes, ce que Geary nomme des habiletés ou des compétences secondaires s’apprennent plutôt pra le biais de l’école.

    Pour en savoir davantage à ce sujet voir les travaux de David Geary:
    http://www.missouri.edu/~psycorie/

  • Merci François de cette belle contribution. Moi aussi, j’avais envie d’intervenir mais puisque je possède très très peu le vocabulaire mathématique je me suis abstenue par crainte de nuire au discours. Je suis tout à fait d’accord avec toi, et je crois justement que la recherche si empirique soit-elle ne doit pas servir de cette façon pour éclairer les praticiens. Plus encore, je m’étonne qu’on s’étonne que les apprentissages de certains concepts mathématiques ne se font pas ailleurs qu’à l’école. Est-ce que ces concepts sont aussi aisés à découvrir dans la nature ?

  • Merci Monsieur Bissonnette de cette généreuse contribution sur le plan de la recherche. Vous me donnez l’occasion de clarifier un aspect important, à savoir que, malgré ce que mon propos peut laisser entendre, je crois très important l’apport de la recherche empirique au savoir général. Vous aurez compris, à l’instar de Christine, que je voulais surtout souligner l’apport, souvent négligé, des autres formes de recherche.

    Christine, d’ailleurs, apporte les mêmes précisions qui me sont venues à l’esprit, c’est-à-dire que si certains apprentissages plus complexes sont faits à l’école, c’est par choix plutôt que par nécessité. On ne saurait nier que ces mêmes apprentissages puissent être faits dans un contexte autre que l’école (mais je ne crois pas que c’est ce que M. Bissonnette voulait laisser entendre). C’est plutôt la systématisation (pour ne pas dire l’industrialisation) des apprentissages qui ont fait en sorte que les écoles soient indispensables. Les nouvelles technologies, cependant, sont en train de changer la donne.

  • Normand Péladeau dit :

    Parfois je me demande si l’affirmation contraire ne serait pas également tout aussi juste si non plus près de la réalité:

    « Il serait souhaitable que certains apôtres du savoir expérienciel descendent de leur piédestal afin de reconnaître la valeur de la recherche empirique »

    J’en ai en fait contre cette fausse dichotomie « chercheur vs praticiens » qui est une façon trop simpliste de caractériser la réalité.

    Selon une étude du MELS, il semble qu’une majorité d’enseignants ne croient pas aux vertus de la réforme: enseignants dont on ne saurait renier le savoir expérienciel puisqu’ils ont eu à appliquer cette réforme. Les gens de formation scientifique qui se sont penchés sur les fondements empiriques de la réforme donnent raison à ces enseignants et prétendent également que cette réforme, selon toute vraisemblance, aura des effets négatifs, avis partagé par bien des enseignants. Ces chercheurs se basent non pas sur des recherches déconnectées réalisées en laboratoire mais sur des tentatives semblables implantés dans des classes par de vrais enseignants avec de vrais élèves. Cela fournit il me semble une perspective historique intéressante à l’analyse de la situation. Si on renie l’histoire, on se condamne à répéter les erreurs du passée et c’est précisément ce qui semble se passer ici au Québec.

    Cela n’empêche pas une minorité d’enseignants de croire aux bienfaits de cette réforme et ils sont appuyés dans leurs convictions par des idéologues qui n’ont que faire des données scientifiques ou des évaluations passées ou même de ce que la majorité des enseignants croient bénéfique pour les enfants.

    Ce sont souvent ces gens qui ont intérêt à entretenir cette croyance d’une dichotomisation entre « savoir expérienciel » et « savoir scientifique ». Alors que dans la situation actuelle, ces deux sources de savoirs semblent s’accorder et se compléter plutôt que de se contredire.

    Question: Lorsque le savoir expérienciel des différents enseignants les amène à tirer des conclusions aussi contradictoires, comment savoir qui a raison?

  • À la bonne heure ! Nous nous entendons sur l’essentiel, Monsieur Péladeau, à savoir le rapprochement des chercheurs et des praticiens. Nos différents, si éphémères soient-ils dans l’ordre des choses, ne relèvent que du circonstanciel ou de l’accessoire. Il convient, cependant, d’en traiter, dans les limites de la bonne foi et de l’objectivité.

    Ainsi, vous avouerez que le retournement au début de votre commentaire est exagéré. Je connais bien peu de gens instruits pour nier la recherche empirique. Comme je le soulignais dans mon commentaire ci-dessus, elle me semble au contraire indispensable. Quand certains récusent la recherche empirique, c’est davantage contre les positivistes obstinés qu’ils en ont, c’est-à-dire ceux qui réfutent toute autre approche de recherche. En préconisant l’union de la recherche et de la pratique, vous n’appartenez certainement pas à cette catégorie.

    Je seconde entièrement votre objection relativement à la dichotomie chercheur vs praticiens. Effectivement, elle ne caractérise pas très bien la réalité. J’admets volontiers que j’ai manqué de clarté. Par contre, il est permis d’utiliser cette dichotomie en tant que notion, à des fins schématiques, pour illustrer certains concepts importants. Il faut reconnaître, néanmoins, que certains chercheurs (de plus en plus rares, heureusement) s’isolent des praticiens. Malheureusement, les praticiens qui se tiennent à l’écart des chercheurs (et de leurs recherches) font encore légion.

    Qu’une majorité d’enseignants ne croient pas aux vertus de la réforme, je ne m’en étonne pas. Mais il me semble prématuré et simpliste de jeter le blâme sur les fondements de cette réforme. Plusieurs autres facteurs sont en cause : la formation des enseignants, l’absence de ressources, l’adaptation au changement paradigmatique, des environnements physiques inappropriés, des gestionnaires mal préparés, l’attachement aux traditions et aux valeurs, des parents mal informés, et j’en passe. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Si le MELS a commis des fautes stratégiques dans l’implantation de la réforme, cela ne signifie pas pour autant que les bases de cette réforme soient erronées.

    Vous avez tout à fait raison de réclamer que l’on tienne compte du savoir expérientiel des enseignants qui s’objectent à la réforme, dans la mesure où ces enseignants ont bien expérimenté le changement. Je ne connais personne pour affirmer que tout fonctionne parfaitement. De toute façon, ce ne sera jamais le cas en éducation, laquelle est forcément à la remorque d’une société mouvante. Ce n’était d’ailleurs pas très jojo dans les écoles avant la réforme, faut-il se le rappeler.

    Mais s’il y a des enseignants pour dénoncer la réforme, il y a tout de même une tapée d’enseignants qui constatent, dans la pratique, qu’elle réussit merveilleusement bien. C’est le cas dans mon milieu de travail, le seul que je connaisse bien, où ceux qui ont réellement fait le saut quantique à la réforme sont ravis du changement. C’est donc qu’il y a quelque chose de très valable dans cette forme de pédagogie. Par contre, je constate que les détracteurs sont aussi ceux qui n’en ont pas tâté. Ce qui me fait un peu douter de la pertinence de certains enseignants qui en critiquent les fondements. Mais je ne doute pas entièrement, car je suis persuadé que plusieurs praticiens ont de bonnes raisons de signaler des ratés.

    L’une des erreurs, à mon avis, est d’imposer la même formule pédagogique à tous les milieux, sans distinction. La pédagogie ne peut pas être dogmatique. Un bon enseignant doit pouvoir choisir les moyens qui répondent le mieux à l’environnement, à la tâche, et à l’élève. Ce n’est pas une mince affaire. Ceux qui ne disposent que d’une méthode sont bien handicapés. Les meilleurs savent puiser dans un coffre riche en outils de toute sorte. Peu importe les méthodes que vous préconisez, elles ont certainement leur place dans l’école, à la condition de ne pas vouloir occuper toute la place.

    Je m’étonne, par ailleurs, qu’un esprit aussi rigoureux que le vôtre accuse aussi facilement les scientifiques qui défendent les fondements de l’apprentissage « d’idéologues qui n’ont que faire des données scientifiques… ». Il ne me serait pas venu à l’idée de traiter ainsi, par exemple, les membres de l’American Psychological Association. Les psychologues ne sont pas tous des hurluberlus ; plusieurs font de la recherche empirique, comme cette étude (PDF) que je signalais hier. Comme vous le dites si bien, il faut rapprocher le savoir scientifique et le savoir expérientiel. Heureusement, ces deux domaines sont très vastes, et on ne réussira jamais à faire l’unanimité.

    Par ailleurs, je crois que ce rapprochement constitue la réponse à l’excellente question par laquelle vous clôturez votre commentaire. C’est en unissant les efforts de la recherche empirique et de la recherche expérientielle (si vous me permettez cette expression) que nous arriverons à y voir un peu plus clair.

  • Normand Péladeau dit :

    Je vous connais assez bien monsieur Guité pour deviner que vous seriez d’accord avec plusieurs de mes propos.

    Il ne faut cependant pas trivialiser l’expérience vécu par ces enseignants qui ne croient pas à la réforme et attribuer leur mécontentements uniquement…

    … à un manque d’information
    … à un manque de ressource
    … à des difficulté à s’adapter aux changements
    … à un attachement aux traditions, aux vielles méthodes

    Tout ceci est peut être vrai, mais on ne peut pas non plus exclure la possibilité qu’ils aient raison. On pourrait d’ailleur faire le même exercice et trivialiser l’expérience vécu pas les enseignants qui eux croient à la réforme et attribuer leur enthousiame…

    … à un attrait pour ce qui est nouveau
    … à une vision rousseauiste de l’enseignement et des enfants
    … au manque d’expérience en enseignement
    … à leur manque de formation scientifique
    … à certains bénéfices secondaires (travail en équipe des enseignants, activités ludo-éducatives, etc.)

    Ce qui nous ramène au point de départ, ou en fait à ma conclusion. Comment peut-on aller au delà des perceptions contradictoires de ces enseignants?

    Je n’accuse pas les scientifiques et la recherche que vous rapportez est d’ailleurs intéressante et mérite considération. Ceci dit, je ne voie pas en quoi elle colle à cet autre texte sur les « fondements de l’apprentissages » que je classerais sans trop d’hésitation de propos d’idéologue au même titre que les livres d’Alfie Kohn, que les écrits de Philippe Perrenoud ou la théorie pseudoscientifique de Robert Lyons. J’ose affirmer que ces « fondements de l’apprentissage » sont sans fondement.

    Il y a bien sûr plusieurs façons de faire de la science. Des résultats de recherches demeurent des résultats de recherches quelque soit les positions théoriques au départ, que l’on soit d’accord ou non avec les conclusions des auteurs. Mais quant on fait des affirmations sans aucune données pour appuyer celles-ci et lorsqu’on fait fi des résultats contraires (aussi nombreux soient-ils) alors on fait parti de la catégorie des idéologues et non pas des scientifiques. Il y a malheureusement trop de ces gens en éducation.

    Tous les « experts » en faveur de la réforme ne sont pas idéologues, mais à mon avis beaucoup le sont et c’est bien malheureux. L’opposition à une évaluation des effets de la réforme traduit selon moi une certaine crainte des résultats. Ils critiquent les évaluations traditionnelles mais ne travaillent pas pour autant à en développer de plus appropriées.

    Il y a des exceptions, dont Bernard Rey en Belgique qui a fait cet exercice de construire une forme évaluation adaptée à la réforme belge (semblable sur plusieurs points à la notre) et qui a travaillé sérieusement à recueillir des données et à les analyser. Je n’ai pas d’objection à ce que les promoteurs de la réforme au Québec fassent de même. Mais je n’ai vu aucun effort de ce côté.

  • Monsieur Péladeau, votre intransigeance à l’endroit des théoriciens et des penseurs m’étonne. Malgré l’assentiment à votre propos que vous me prêtez, je ne saurais cautionner tant de négation à l’endroit de ceux que vous traitez facilement d’idéologues. Pour ma part, j’ai le plus grand respect pour ceux qui s’adonnent à la recherche de solutions (et auxquels vous appartenez). Sans pour autant tout gober les idées, je leur sais gré d’alimenter ma réflexion. La recherche scientifique, telle que vous l’entendez, est un phénomène très récent dans l’histoire de l’humanité. Ce qui n’a pas empêché celle-ci de progresser et d’accomplir des merveilles avant son arrivée.

  • Normand Péladeau dit :

    Je n’ai pas de problème en général avec les théoriciens et les penseurs. Mais lorsque ces penseurs affectent la vie de centaines de milliers d’enfants, ne croyez-vous pas qu’ils soient redevablent à la société, sinon aux parents et à ces enfants? Ne croyez-vous pas qu’ils doivent faire preuve de circonspection?

    Si dans 5 ou 10 ans, on se rend compte que les difficultés scolaires au Québec ont augmentées, que l’analphabétisme fonctionnel est plus important que jamais, que la maîtrise du français et des maths est à son plus bas, que les décrocheurs sont plus nombreux également, ne serez-vous pas vous aussi sévère envers ces théoriciens, surtout si vous savez que leurs recommandations étaient non seulement basées uniquement sur des positions théoriques, mais qu’en plus, ces recommandations étaient déjà en contradiction avec les données de près de 100 ans de recherches?

    J’ai malheureusement beaucoup de raisons de croire que c’est précisément ce qui est en train de se produire. Et cela me désole au plus haut point. J’aimerais bien me tromper mais en l’absence de toutes données quant à l’impact de ces changements, je ne peux que m’appuyer sur l’expérience de ceux qui ont expérimenté ces mêmes idées par le passé (de Kilpatrick et Dewey au début du siècle aux élèves du canton de Genève en Suisse). Et si le passé est garant de l’avenir, celui-ci risque de ne pas être très reluisant pour nos enfants.

    Bien sûr, j’ai peut-être totalement tort, mais peut-on se permettre la possibilité que j’ai en partie raison?

  • Benoit St-André dit :

    Ou vous avez peut-être tout simplement en majorité tort.

    Ou en partie tort.

    Mais en tout cas, il se peut très bien que vous ayez tort sur certains points, ce qui ne semble vraiment pas facile à admettre.

    M. Péladeau, bien sûr, d’autres que vous ont aussi tort. Ce n’est pas une raison pour jouer à ce petit jeu constamment. Pour paraphraser votre commentaire: Si le passé est garant de l’avenir, j’imagine que mon petit commentaire n’aura servi à rien.

    Et pour sortir un argument de nulle part comme ça: sans statistiques à l’appui, j’imagine qu’on peut affirmer que le taux d’analphabétisme était beaucoup plus élevé il y a 50 ans qu’aujourd’hui. Serait surprenant que l’analphabétisme fonctionnel soit plus important que jamais.

  • Normand Péladeau dit :

    Si vous me connaissiez un peu mieux vous sauriez comment je suis en mesure de remettre en question mes croyances personnelles en présence de données contraires. Ma thèse de doc en est un bel exemple.

    Je ne demande pas mieux que d’avoir tort comme vous semblez le croire. Mais, en êtes-vous si sûr?

    Moi, tous ce que je demande c’est de prendre le temps de vérifier tout ça et de prendre le temps de regarder où on en est. Il me semble que ce n’est pas déraisonnable, non?

    N’avez vous aucun doute, que des certitudes pour parler ainsi et croire qu’une évaluation des effets de la réforme est superflue?



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