L'attrait de la solitude


Les moments passés en compagnie de mes amis sont indispensables, et souvent mémorables. Mais pour créer ou apprendre, rien ne vaut la solitude. Évidemment, je me nourris du pactole cognitif de mes proches quand les circonstances nous réunissent. Mais seulement par bribes, car la relation théorétique ne sert qu’à accentuer le rapport affectif, comme le souffle avive la flamme. Ces échanges sont un tel feu roulant que je n’en capte que quelques étincelles. Là où je suis le plus productif, c’est dans l’isolement, quand tout mon environnement immédiat m’appartient et que je peux, à ma guise, meubler le temps de lectures, de recherches et de réflexion. La raison, il me semble, préfère la solitude, tandis que le coeur brigue la compagnie. …

À propos de solitude, Jason Fried a écrit un merveilleux billet, dans lequel il fait allusion à une zone d’isolement (alone zone). Le retranchement dans cette bulle est nécessaire pour une productivité individuelle optimale. En éliminant les interruptions et le multitasking, l’esprit peut s’absorber tout entier dans les ramifications d’une tâche.

Getting in the zone takes time which is why interruption is your enemy. It’s like REM sleep — you don’t just go to REM sleep, you go to sleep first and you make you way towards REM. Any interruptions force you to start over. REM is where the real sleep magic happens. The alone time zone is where the real productivity happens.

Que cela signifie-t-il pour les écoles ? D’abord, que l’école est un lieu plus propice aux rapports sociaux qu’à la réflexion individuelle. On y arrive, bien sûr, par la force des choses, et contre nature. Ce n’est pas en obligeant le travail en silence, penché sur un pupitre de classe ou une table de bibliothèque, qu’on arrange les choses, car il n’y a pas espace de travail plus austère. C’est ce que mes meilleurs élèves m’expliquaient récemment quand ils avouaient préférer travailler à la maison, généralement dans le confort et la solitude de leur chambre. En échange, ils profitaient du temps d’école pour retrouver leurs amis. Comportement tout à fait naturel.

Sans renoncer pour autant au socioconstructivisme, celle-ci ne peut pas être la solution à tous les apprentissages. Comment, d’ailleurs, réduire le développement de l’esprit à une seule théorie quand on n’en comprend pas encore tout le fonctionnement ? Aussi, je suis plutôt d’accord avec ce billet de George Siemens qui tente de faire la part des choses entre le socioconstructivisme et l’apprentissage individualisé.

The social element of learning occurs when I engage my network for feedback and understanding.

Quant à la pluralité des théories de l’apprentissage, Siemens a raison de réclamer un modèle intégré qui exprime plus justement l’ensemble des connaissances accumulées à ce jour. Cela aurait sans doute évité la récente querelle avec les instructionnistes opposés à la réforme.

Vous pouvez suivre les commentaires en réponse à ce billet avec le RSS 2.0 Vous pouvez laisser une réponse, ou trackback.

6 réponses

  • À propos de la forme du billet: Vraiment fascinant de voir à quel point tu alternes entre différents styles d’écriture dans ce billet, François. C’est d’un charme à lire en plus de la qualité du contenu!

    J’ai tendance à considérer le [socio]constructivisme comme une pièce de casse-tete supplémentaire à notre compréhension générale de la cognition humaine plutot que comme une paire de bas qui vient en remplacer une plus désuète. Le socioconstructivisme apporte des éléments de compréhension importants dont le behaviorisme et le cognitivisme ont eu bien de la difficulté à rendre compte, mais il ne fait pas tabula rasa pour autant. La réalité semble etre vue de façon différente à certains moments mais je crois qu’on entre alors davantage dans un débat plus épistémologique que théorique.

    En ce qui a trait au socioconstructivisme plus particulièrement, je ne crois pas qu’il mette de coté l’aspect plus individuel de l’apprentissage. Quand on s’intéresse au concept de scaffolding, par exemple, on remarque que les moyens qui sont à la disposition d’un apprenant pour l’épauler dans son apprentissage ne devraient etre que temporaires. C’est l’autonomie qui est visé, ce qui implique, d’un point de vue pratique, que l’apprenant a aussi besoin de temps pour essayer par lui-meme.

    Par ailleurs, l’aspect social ne se réflète pas que dans les contacts humains. Vygotsky parlait aussi beaucoup de toute la notion d’artefacts qui sont à notre disposition dans l’environnement. C’est Gilles qui racontait récemment qu’il devait relire certaines pages de son livre de programmation pour en comprendre le sens. Qu’est-ce d’autre si ce n’est pas une forme de négociation de sens?

    «On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres.» Cet adage me semble etre un pont bien intéressant qui invite à l’intégration des différentes théories. Par exemple, à la suivre de nombreux échanges pour essayer de comprendre le sens d’un texte, j’aurai probablement envie de me retrouver un peu plus seul pour faire le point sur ce qui s’est dit et mettre de l’ordre dans tout ça. On aura peut-etre élaboré une compréhension de groupe, mais il n’en demeure pas moins qu’il existera aussi autant de compréhensions individuelles qu’il y a de personnes qui auront participé aux échanges.

    Enfin, en ce qui a trait au passage de Siemens, je le trouve un peu réducteur et, au risque de repartir le débat à propos des possibilités offertes par les outils, je trouve que ça fait très «blogue» comme propos ;-)

  • Alain Vézina dit :

    Pour un critique pertinente du socioconstructivisme, je viens de terminer la lecture du livre très transversal et épistémologique de Miguel Benasayag: La Fragilité, La Découverte, 2004.

    Sujet et objet se constituent dans le même mouvement par essais de couplages. D’où le caractère ontologique du lien et la force de la dimension écologique.

    Plus centrés sur la révolution informationnelle en cours mais de lectures absolument indispensables bien au-delà de la seule dimension éducative, voici 2 autres livres:

    André Gorz, L’immatériel, Galilée, 2003.

    Philippe Aigrain, Cause commune, Fayard, 2005.

  • Tu es trop aimable, Stéphane. Comme pour tout le monde, cela semble plus facile certains jours, quoique les blogues se prêtent mal aux exercices de style.

    Poursuivant dans la foulée du billet, la solitude et l’environnement dans lesquels je l’ai écrit en ont certainement coloré les idées. Il faisait si chaud chez moi, hier au soir, que j’ai empoigné mon iPod et mon portable pour me réfugier dans le jardin public. J’ai rédigé le billet à la belle étoile, devant l’immense jet illuminé de la fontaine, dans une bulle musicale et cajolé par la brise. Inutile de préciser que c’était féérique. Du coup, il appert que chaque écrit gagnerait à être composé dans un nouveau décor. Un point de plus pour le m-learning.

    Je te suis reconnaissant de ton commentaire, lequel ajoute de nouvelles pièces à ma conception du socioconstructivisme. Je trouve que ta conception de l’apprentissage synthétise plusieurs théories, comme le réclame Siemens dans la conclusion de son billet. Par ailleurs, un commentaire de cette ampleur m’impressionne toujours vivement.

    Enfin, j’aime bien l’idée de Benasayag selon laquelle « sujet et objet se constituent dans le même mouvement par essais de couplages. » Au risque de paraître simpliste, le rapport entre la dynamique cognitive de l’essai-erreur, d’une part, et l’environnement, d’autre part, (ou entre l’homme et l’univers) me semble une dimension fondamentale de l’apprentissage.

    Merci également à Alain pour les références, que je note à l’instant.

  • Alain Vézina dit :

    Afin de souligner l’intérêt qu’il y a lire les livres mentionnés plus haut, je prends le temps ici de (re)produire un extrait du livre de Philippe Aigrain, c’est-à-dire partie des pages 202 et 203.

    « Il nous faut réinventer la façon d’articuler social et économique: partir des besoins propres au développement des services créateurs de biens publics et de la création de biens communs informationnels, et envisager comment penser leur organisation et l’articuler avec la production matérielle.

    La sphère des services liés à des biens publics sort du propos strict de cet ouvrage, mais il est utile de la situer en regard de la production matérielle et de l’écologie des échanges d’information. Le champ des services concerne essentiellement le temps humain. De ce fait, un choix majeur s’offre à nous: faut-il lier cette sphère à la prodution capitalistique ou à une économie du temps humain s’appuyant sur les biens communs informationnels ? Ce sont des choix extrêmement concrets. Voulons-nous une éducation centrée sur l’acquisitions de savoirs et savoir-faire à travers des activités et échanges humains, dans et hors des institutions éducatives, activités et échanges qui s’appuientsur les biens communs informationnels et les processus sociaux ? Ou voulons-nous une école toujours plus sclérosée, tentant en vain de corriger les effets des médias de flux et des inégalités culturelles, et autour de de laquelle les connaissances sont transformées en marchandise, packagées dans des produits éducatifs, et servent de base à un marché d’estampillage de diplômes ? Voulons-nous une santé publique fondée sur la gestion sociale de ce qui est un un phénomène social complexe, la disponibilité de connaissances ouvertes, des prestations humaines, recourant à la technique selon ses propres besoins et évaluations ? Ou voulons-nous la marchandisation de composantes du système de santé – dans le médicament, la technicisation de l’acte thérapeutique, l’appropriation privée des connaissances et de leur usage, avec l’hôpital comme recours réticent des laissés-pour-compte de ce système. »

    Le sous-tire du livre est: L’information entre bien commun et propriété.

    Ce livre renouvelle la problématique du caractère potentiellement révolutionnaire des technologies numériques de l’information et démontre en quoi leurs contributions à notre puissance créative ne peut être libérée que si leurs formes d’appropriations prépondérantes et reconnues en droit est celle de biens communs, et argumente de façon fort convaincante qu’il faut restreindre a priori les droits de propriétés intellectuelles de tous ordres (génétiques, logiciels ou autres).

    Toutefois, je considère que la lecture du livre de André Gorz, d’ailleurs plus rapide et limpide, est une entrée en matière presque obligée.

  • On s’éloigne du sujet, mais le propos est tout de même intéressant. Il me semble, pourtant, que « le bien commun informationnel » est justement ce vers quoi nous tendons actuellement, avec des initiatives telles que Creative Commons, Wikimedia et Linux, pour ne nommer que celles-là. Il ne faut quand même pas s’attendre à ce que le changement se réalise du jour au lendemain. Ces dix dernières années, seulement, il a progressé à un rythme fascinant.

    Seulement du côté de Linux, les dernières nouvelles sont encourageantes :

    • L’Université de Monfort se tourne vers Linux (source) ;

    • Sun recommande d’utiliser le source libre partout en éducation (source) ;

    • IBM fait un don de 5 millions $ pour former des programmeurs de source libre (source) ;

    • Les écoles de la Nouvelle-Zélande passent à Linux (source) ;

    • La BBC développe des projets en source libre (source) ;

    • La Corée du Sud a développé une plateforme en source libre pour ses écoles (source).

    On n’est pas encore au bout de nos peines, mais malgré certains déboires on se dirige inexorablement vers le partage des idées. C’est le genre de mouvement qu’on peut ralentir, mais non stopper.

  • Alain Vézina dit :

    Nous sommes loin effectivement du sujet de la solitude. La suite a tendu à nous mener là. Tu as raison de citer cette vigueur des bien communs informationnels et ceux que tu nommes en sont bien des plus typiques et formalisés. Leur domaine est par nature plus vaste que ceux de ces biens qui font l’objet d’une captation privée. Toutefois, il ne faut pas dire que c’est là que nous allons, mais bien plutôt de s’assurer que c’est là que nous allons, car cela ne va vraiment pas de soi. Les embûches capitalistiques seront nombreuses. Il n’y a qu’à voir les débats européens à propos des droits de propriétés intellectuelles. Coté américain, les débats à faire seront encore plus costauds.. Je tends à être assez d’accord avec ton dernier paragraphe en autant que l’on renonce au sens de l’histoire et accepte le présent et l’avenir comme politique. Il faudra en arriver à revenir sur des droits de propriété que certains groupes économiques ont acquis. Cela ne se fera pas gentiment.



Laisser un commentaire à Stéphane Allaire (Ytsejamer)

*