Les tics de la langue


L’impact des TIC sur la langue me tracasse depuis un bon moment. Car les nouvelles technologies de la communication se foutent de la syntaxe. La rapidité a éclipsé la subtilité. Je suis déchiré par mon amour pour la langue et la pensée, d’une part, et par les nécessités de l’évolution, d’autre part. …

L’exemple le plus criant est le texto que les jeunes baragouinent dans leur clavardage. Mais il y en a d’autres, comme le sabir juvénile, auxquels la télévision et la publicité font écho. Se peut-il que l’accélération de l’évolution entraîne inexorablement l’abrégement de la langue ? Si le texto est si populaire auprès des jeunes, ce n’est pas tant par souci de la mode que le besoin d’entretenir synchroniquement plusieurs conversations dans leur IM (instant messaging). Certains peuvent clavarder avec plus de 10 personnes en même temps. ‘Seulement le fait passager d’une jeunesse insouciance’, dites-vous ? Examinez seulement la composition de certains de vos courriels, particulièrement lors d’un retour de message.

Pour le linguiste David Crystal, il faut se réjouir de ce changement plutôt que s’en inquiéter, comme le font les linguistes traditionnels : « linguists should be « exulting, » in the ability the internet gives us to « explore the power of the written language in a creative way. » » (Wired : The Web Not the Death of Language)

La langue répond à plusieurs besoins : définir, décrire, informer, convaincre, divertir, exprimer des émotions, etc. Faut-il recourir à la même langue alambiquée pour tous ces usages ? Il semble plus logique — plus efficace à tout le moins — d’utiliser une langue différente selon le cas. C’est d’ailleurs ce que nous faisons en changeant de registre. Se peut-il que les générations futures poussent l’exercice plus loin en créant des langues adaptées au moyen de communication ? Nous savons déjà que le cerveau peut assimiler plusieurs langues. D’une certaine façon, on se dirige vers une langue mondiale qui, au-delà des idiomes locaux, comportera des variantes en fonction du public, du registre ou du média. Ainsi, le besoin de communiquer rapidement donnera lieu à un nouveau langage idéographique inspiré du texto (pensons aux idéogrammes chinois).

Le plus inquiétant avec le texto, c’est la limitation du vocabulaire et la superficialité du contenu. Mais là réside son efficacité. Il répond formidablement à la tâche. Multitasking oblige. À ce chapitre, il faut davantage s’inquiéter de l’effet des TIC sur l’homme que sur la langue. Pour l’expression de la pensée pure, la poésie, la weltanschauung et tout ce qui émoustille l’oreille, il y aura toujours une langue cultivée, passée et présente. Notre devoir est de la maintenir vivante. Mais pour y arriver, nous avons aussi besoin de la jeunesse.

Par ricochet :

La qualité de la langue — en Angleterre aussi

Mondialisation de l’anglais

Enseignement inefficace de la grammaire

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5 réponses

  • Une langue vivante voit son vocabulaire évoluer selon les usages: l’abrégement a toujours été une façon de la modifier (pensons à voiture automobile qui est devenu auto ou stéréophonique qui est devenu stéréo).

    Qu’elle puisse évoluer en fonction du moyen de communication, c’est une observation brillante. Mais le IM n’est-il pas seulement une trace écrite du sabir que les ados ont toujours utilisé (ouin, tsé veux-dire, de kossé)? Un sabir qui a évolué à cause de la technicité du médium?

    La superficialité du contenu se trouvait aussi à l’époque des longs appels téléphoniques ou des échanges verbales pendant le vagabondage dans les centres d’achat.

    Aujourd’hui, c’est sur le IM, non?

    Je crois plutôt que le small talk a toujours existé et même qu’il est au final en régression, pcq sur les derniers 3500 ans, l’éducation a fait de grand progrès.

    J’imagine que le texto de cette époque était l’écriture cunéiforme : corrige-moi si je me trompe « la pensée pure, la poésie, la weltanschauung et tout ce qui émoustille l’oreille » n’a pas été transmises par ces tablette de pierre. Et pourtant, nous déscendons d’eux, et nos blogs respectifs font foi que tout a évolué.

    Le sabir ado a maintenant son écriture : le texto. Rien de glorieux, mais une nouvelle langue écrite est née…

  • Je crois qu’il va être fascinant de suivre l’évolution du texto, considérant l’évolution des TIC et l’absence de contraintes académiques. Une sorte de far-west langagier. J’espère que quelqu’un en garde des traces pour des études ultérieures.

  • Un article dans The Christian Science Monitor (Teens ready to prove text-messaging skills can score SAT points) révèle que même une écriture bâtarde peut avoir des effets bénéfiques sur les habiletés d’écriture conventionnelles. Fascinant !

  • Jean Véronis propose une idée provocante: du texto au premier siècle après Jésus-Christ.

    « Le scribe se contente d’abréger une petite liste de mots sacrés, Seigneur, Jésus, Jérusalem, croix, etc. C’est pour cela que ce système d’abréviation a reçu le nom de nomina sacra. (…)

    Ne retrouve-t-on pas là le double besoin qui se fait sentir dans l’écriture « texto » : gagner de la place, sans doute, mais aussi marquer son appartenance à une tribu, à un groupe à part ? »

    http://aixtal.blogspot.com/2005/02/sms-nomina-sacra.html

  • Très, très intéressant, cet article que tu signales, Martin. Merci de le porter à mon attention.

    Si l’hypothèse se vérifie — et je crois qu’elle est exacte dans une large mesure — la question maintenant est de savoir quelle partie de ce jargon est maintenue par une génération pendant qu’elle vieillit. Dans l’éventualité où cette proportion est signifiante, cela expliquerait largement le phénomène de l’évolution d’une langue.

    Par conséquent, il est permis d’émettre une autre hypothèse : les TIC accélèrent l’évolution d’une langue en consolidant le réseau générationnel et en contribuant à uniformiser le jargon propre à une génération. Un récent lexique du jargon des ados en Grande-Bretagne (BBC : A lexicon of teen speak) et des ressources en ligne tel que Urban Dictionary me portent à croire que le jargon des ados n’est plus aussi local qu’auparavant.



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