Le grand mensonge du marketing scolaire


GwathmeyMarketing.jpgCible. En marketing, ce qu’il faut toucher pour ne pas couler. (Marie-Anne Dujarier)

La saison de la chasse aux élèves est ouverte. Car c’est bien ce dont il s’agit dans les efforts déployés par les écoles privées et publiques pour appâter les parents et les élèves qui s’apprêtent à choisir une école secondaire. Cette concurrence entre le public et le privé donne lieu aujourd’hui à des campagnes de marketing fignolées qui n’ont rien à envier à l’industrie sur le plan de la manipulation de l’image. Toutefois, il n’est pas question ici de boissons gazeuses, mais d’enfants.

Quand je vois les jolis panneaux publicitaires, les magnifiques brochures qui font miroiter des paradis scolaires et les visites fleuries qui se préparent, je ne peux m’empêcher de voir l’envers du décor. L’école peut-elle moralement cacher aux futurs élèves les risques auxquels ils seront exposés?

    - l’état de la situation concernant les drogues?

    - la prévalence des types d’intimidation et de violence?

    - le taux d’échec?

    - les obligations?

    - les mesures disciplinaires?

    - la présence des caméras de surveillance?

    - les problèmes d’insalubrité?

L’école a évidemment toutes les raisons de mettre en relief ses attraits et ses réussites. Mais cacher à des enfants les facettes plus sombres de la réalité au moment où ils s’embarquent pour un périple décisif dans l’orientation d’une vie constitue un manque flagrant d’éthique. Idéalement, le réseau de l’éducation devrait se soucier de ce que les élèves accèdent aux meilleures écoles, peu importe lesquelles. La finalité est tant individuelle que sociale. C’est faire preuve d’une grande naïveté, certes, mais néanmoins préférable à l’ignominie du mensonge. Les jobs des enseignants et les primes des directeurs ne justifient pas que l’on s’arrache les enfants.

Je blâme particulièrement les écoles privées qui ont posé les premiers leurres. Dans cette joute commerciale, elles sont avantagées. D’une part, elles jouissent d’un préjugé favorable, attrait immanquable de la richesse. Ensuite, elles ne sont pas soumises à des contraintes territoriales; leur maraudage s’étend à volonté. Enfin, plusieurs ont le loisir de sélectionner les élèves, assurant ainsi une plus grande homogénéité sociale. À ce sujet, Jean-Pierre Proulx et “Michel Le Neuf” réclament une plus grande équité sociale dans l’admission aux écoles privées subventionnées par l’État, une position dont je suis.


(Image thématique : Marketing, par Robert Gwathmey)


Par ricochet :

Programmes spécialisés et performance scolaire

Les écoles publiques plus efficaces que le privé ?

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9 réponses

  • Félix dit :

    Je suis bien d’accord avec cet article: je suis moi-même sur le comité promo de l’école et on s’est dit en gros ce qu’on devait NE PAS DIRE et ce qu’on devait dire… Mais je me dit que même si on cache certaines choses aux futurs étudiants, une fois rentrés à la grande école, ils s’habituent rapidement et ne remarquent plus ces mauvaises facettes du secondaire.

  • Jean Trudeau dit :

    «Idéalement, le réseau de l’éducation devrait se soucier de ce que les élèves accèdent aux meilleures écoles, peu importe lesquelles.»

    Mais comment?

    N’est-ce pas plutôt aux parents de s’en soucier? Et comment peuvent-ils faire le choix de la meilleure école sans ‘marketing’?

  • Un autre témoignage bien révélateur. Décidément, tu n’as pas fini de me surprendre, Félix. Bravo pour ta débrouillardise et ton courage de t’exprimer.

    Jean pose la question à 64 000 $, pour laquelle je n’ai évidemment pas de réponse certaine. De l’idéal à la réalité, il y a plus qu’un monde. Sans doute est-ce encore l’idéaliste qui parle, mais peut-être les gestionnaires devraient-ils être tenus de rendre publics certains chiffres sur la situation dans les écoles, histoire de dresser un portrait plus réaliste.

  • En période de Marketing, n’est-il pas important de penser tout ce qu’on dit même si on ne dit pas tout ce qu’on pense François? C’est un peu comme en politique j’imagine…

    Je trouve ta comparaison avec la chasse (et la pêche) un peu boiteuse. On veut séduire les parents et les élèves certes, mais on veut surtout s’assurer que l’école soit pleine. Notre mode de financement François est basé sur un montant d’argent remis pour chaque élève inscrit au 30 septembre. Sans marketing, dans ce contexte de dénatalité et de concurrence, il devient périlleux et presque irresponsable pour une administration scolaire de ne pas se vendre un peu. Se présenter devant des élèves et nommer ses caractéristiques, ses atouts tout en expliquant comment on compte rendre ce service d’éducation n’est pas vécu comme de la chasse ou de la pêche partout François. Dans bien des écoles, c’est une occasion de montrer son sentiment d’appartenance, de faire valoir sa tradition éducative, de parler des petits gestes qui font de son école un lieu particulier et il me semble que ça peut se vivre avec beaucoup de passion.

    La frime François, elle se retourne vite contre soi, en tant qu’institution. Tu regrettes vite comme directeur d’avoir utilisé de faux prétextes pour faire valoir ton institution. Ce n’est pas une chance à prendre…

    Tu sais que j’ai passé beaucoup de temps au privé dans les vingt dernières années. Je travaille maintenant à 70% dans des écoles publiques. Je suis frappé par une seule chose quand le jeu des comparaisons entre les deux réseaux m’effleure: le sentiment d’appartenance. Il semble difficile à construire dans des écoles où c’est la C.S. qui est «l’employeur». Il me paraît inexistant dans des endroits où l’extrême mobilité des directions et des enseignants font que le mobilier est le seul témoin du temps qui passe. Le lien avec les anciens, le recours aux parents dont les enfants fréquentent l’institution, je ne vois pas ça souvent au public (pas assez en tous les cas); pourquoi?

    J’aime bien les pistes proposées par Jean-Pierre Proulx et Michel Le Neuf. La grande majorité des écoles privées ne demanderait pas mieux de se débarrasser de cette réputation de ne privilégier que les biens nantis (dans plusieurs sens du terme).

    Dans cette nécessaire tâche d’agir en fonction de pouvoir disposer du maximum de ressources dans son école par le financement «par tête de pipe», je ne vois pas comment on peut parler «d’ignominie» et de «mensonge» au moment où la responsabilité de chacun est de contribuer à regrouper les forces de la place.

    Il y sûrement plein d’autres moments et de lieux pour aborder les questions que tu touches et plusieurs parents d’ailleurs vont au fond des choses avec des amis, des connaissances et des anciens ce qui rééquilibre souvent bien des affaires.

    Bref, je te trouve dur mon cher. Personne ne veux «s’arracher» les enfants. D’ailleurs, parler contre les autres écoles (ou l’autre réseau) est extrêmement mal vu par les jeunes et les parents… Mais bon, ta perspective méritait aussi d’être exposée! On pourra en rejaser en quatre yeux ;-)

  • Luc Papineau dit :

    M. Guité, j’aime bien votre titre. Il me rapeplle quelque chose.

    Cela étant dit, je partage tout à fait les opinions exprimées par M. Asselin. Par exemple, il est difficile d’établir une tradition d’excellence dans une école publique ou les directions et les enseignants passent parfois à un rythme étourdissant. Je suis un ancien avec 14 ans d’ancienneté et je vois chaque nouvelle direction vouloir laisser sa marque en défaisant ce que la précédente à construit. À la fin, l’exercice devient purement nuisible.

    Enfin, on ne mise pas assez dans le réseau public sur les anciens élèves et sur la tradition. De toute façon, la tradition, c’est ringard, c’est rétro, c’est nul. Pourtant, comment créer l’appartenance si elle ne se perpétue pas dans le temps? Comment créer l’appartenance si les enseignants sont des employés syndiqués et les élèves, des clients?

  • Je suis sensible à vos arguments, évidemment, lesquelles méritent une riposte. Je reviendrai demain avec une réponse plus élaborée. L’enseignement, aujourd’hui, m’appelle.

    D’ici là, je vous prie de voir le texte comme un exercice de moralité plutôt que de réalité.

  • Jean Trudeau dit :

    Le sentiment d’appartenance…

    J’ai cru un moment, il y a x mois (ou années!), que les défenseurs de l’école publique allaient se soucier de faire ce qu’il faut pour développer dans ‘nos’ écoles le sentiment d’appartenance; il était alors question de rendre l’école plus communautaire, de l’arrimer dans son milieu. Le concept ne semble pas avoir fait long feu, dans ma région du moins où dieu seul sait ce qui se passe ‘en-dedans’ des écoles. Dommage car l’école publique pourrait ainsi se démarquer très positivement (notamment par rapport à l’école privée) et n’aurait pratiquement plus besoin d’une vitrine marketing surfaite.

    Parlant marketing… Le 4 novembre prochain, on se surprendra pourtant du désintérêt généralisé de la population pour les élections scolaires.

  • Je m’inquiète quand on abandonne la vertu pour défendre les vicissitudes de l’administration. Je comprends très bien que la réalité nous oblige à composer avec les contraintes issues de la complexité du monde. Les choses ne sont effectivement jamais aussi simples que le veut la vertu.

    Néanmoins, il est nécessaire par moment de se questionner sur la moralité de nos actions. C’était l’intention de ce billet, et je regrette de ne pas l’avoir exprimé plus clairement. Je croyais, à tort, que c’était une évidence.

    J’aime m’interroger sur ce qui devrait être fait, plutôt que ce qui peut être fait. Je crois que la question est d’autant plus importante en éducation, étant donné que l’école est l’un des derniers bastions de la vertu. Or, d’un point de vue moral, je ne vois pas comment l’on peut subordonner la finalité éducative, c’est-à-dire l’élève, aux impératifs du marketing ou d’une commercialisation qui répond davantage aux intérêts des gestionnaires et du personnel. Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que l’élève peut aussi y trouver son compte. Je dénonce surtout le fait que des actions sont prises sans considération morales. En soulevant la question de l’éthique, j’espère aiguillonner le le statu quo et le mettre sur la voie du changement.

    Quant à la question du sentiment d’appartenance, je partage l’analyse que fait Mario des différences entre le public et le privé. Cela rejoint également la position de Luc sur la difficulté de cultiver l’excellence dans les écoles aux prises avec l’instabilité.

    Enfin, j’aime bien le commentaire de Jean qui souligne la difficulté pour les parents de soutirer de l’information des écoles. Cela ne fait que mettre en relief la vulnérabilité des parents à la publicité des écoles lors des opérations de marketing. Inscrire son enfant dans une école ne devrait pas être un coup de dé.

  • Luc Papineau dit :

    M. Guité,

    La plupart des directions d’école n’aiment pas voir des parents se mêler des choses de leur école. Elles ont leur vision, leur agenda. Oui, pour le bénévolat, mais pour le reste… Alors, pour ce qui est d’être bien informé.



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