Apologie de l'anonymat


Il m’arrive à l’occasion de recevoir un commentaire acheminé par courrier électronique, plutôt que par l’intermédiaire d’un billet. Dernièrement, un lecteur m’écrivait ainsi pour appuyer ma position sur le rôle de la direction dans l’intégration des nouvelles technologies à l’école. Comme il jugeait son propos virulent et accusateur, il s’est abstenu de le publier en commentaire du billet. Dans ma réponse, je lui suggérais de publier son commentaire anonymement, car je crois l’anonymat justifié.

Évidemment, c’est un moyen qu’il faut utiliser avec discernement. Je ne crois pas, non plus, qu’il soit possible de définir avec exactitude les règles qui légitiment son usage ; c’est affaire de jugement, en fonction des circonstances. Dans les grandes lignes, toutefois, il faut reconnaître certains principes tels que la protection de l’auteur, la défense d’une juste cause, et l’interdit de la diffamation ou de l’injure.

Toujours est-il que dans ma trop brève réponse, je défendais l’anonymat en ces quelques mots :

À mon avis, il ne faut pas se retenir d’exprimer sa rage dans les blogues. Même s’il faut le faire anonymement. Quoique que l’anonymat ne soit pas toujours bien vu, il n’en demeure pas moins un moyen efficace, quand il est utilisé de façon sporadique, de faire valoir un point de vue.

L’anonymat, sous la forme de dénonciations, cabales ou tractations, a certainement changé le cours de l’histoire. Et que dire de tous ces auteurs qui ont emprunté un nom de plume ? Il y a eu des salauds et des lâches, bien sûr, pour avilir le silence de l’identité. Mais d’autres y ont eu recours pour servir une cause plus grande que leur nom.

À l’ère de l’internet, les raisons sont encore plus nombreuses de protéger son identité. Un mot jeté hâtivement peut venir nous hanter des années plus tard. C’est un risque que plusieurs blogueurs prennent avec beaucoup d’inconscience. Pour ma part, je préfère sottement la témérité à la sagesse.

Et puis, il vaut mieux s’exprimer anonymement que pas du tout. Ceux qui se taisent en public minent les grandes initiatives par le fond. On n’a, pour s’en convaincre, qu’à observer le comportement d’une grande assemblée : les participants sont taciturnes dans la salle, mais bavards à la sortie. On se tait en public, tandis qu’on écharpe en privé. Il vaut beaucoup mieux donner un exutoire pour prendre le pouls. Car il faut aussi que le coeur se fasse entendre ; ce n’est pas tout que d’écouter la voix de la raison.

La vertu n’est pas tendre à l’endroit de l’anonymat. Elle la regarde de haut, comme les snobinards qui lèvent le nez sur tout ce qui menace leur opulence. Ils sont ravis, d’ailleurs, quand un dénonciateur ose se montrer ; ils ont enfin quelqu’un à tenir dans leur mire. Mais le bien commun ne saurait rejeter un moyen aussi inoffensif. Pour reprendre une idée de Thomas Sowell, l’anonymat est souvent nécessaire à la vérité. Il y aura toujours des imbéciles pour donner mauvaise réputation à l’anonymat. Ce qui ne l’empêche pas d’être utile.


Par ricochet :

Identité et vie privée

Revue : Identité prisonnière du Web

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