Nouveau modèle de matériel didactique


À en juger par les feuillets publicitaires que je reçois, les éditeurs de matériel didactique n’ont compris de la réforme que la terminologie. Ils ne se gênent d’ailleurs pas pour l’étaler épais : compétences par ci, réussite par là, interaction et citoyenneté bien en vue. Mais pour le reste, rien ne semble avoir changé : mêmes couvertures illusoires, mêmes pages uniformes, mêmes activités et exercices stéréotypés. Si l’enseignant trouve ça barbant, imaginez donc les élèves ! …

Et pourtant, plusieurs enseignants du secondaire vont en faire l’achat. Non par choix, mais par désespoir, car ils y verront une planche de salut pour la réforme — ou une bouée de sauvetage. Le vrai danger, cependant, est que ce genre de matériel supprime toute nécessité de réellement comprendre les principes de la réforme, ni d’en voir la finalité : il suffit de suivre le guide du maître (oxymoron absurde).

Il est regrettable que les maisons d’édition n’aient pas saisi l’avènement de la réforme, avec tout ce que cela implique de renouveau pédagogique, pour explorer de nouvelles formes de matériel didactique. Après tout, réforme n’égale-t-il pas nouvelle forme ? Les TIC, pour ne donner que cet exemple, offrent des possibilités illimitées. Tout porte à croire que les principaux éditeurs sont prisonniers de leurs propres machines de production. La réalisation et la mise en marché des manuels scolaires coûtent très cher ; par conséquent, on doit rentabiliser l’investissement en misant sur le volume (pour ne pas dire la masse).

Le MEQ n’est pas plus fin. S’il avait exercé autant de pressions sur les éditeurs qu’il l’a fait sur les administrateurs scolaires et les enseignants, ceux-ci disposeraient de ressources plus inspirées. Cela dénote une bien pauvre stratégie d’implantation, considérant que le matériel didactique constitue certainement l’outil de travail le plus important pour la majorité des enseignants. Sans doute a-t-il cédé au lobby des éditeurs, sachant que leur concours était indispensable et que le temps se faisait pressant.

Les commissions scolaires et les directions d’école sont parfois complices. Devant l’énormité de la facture, on oblige souvent les enseignants à acheter le même matériel à l’échelle de la commission scolaire, de l’école ou d’un degré d’enseignement. On évoque la nécessité de l’uniformité du matériel pour faire la formation, comme si un enseignant n’avait pas les compétences professionnelles pour comprendre un manuel se rapportant à sa propre discipline. Les besoins en formation, il me semble, se situent à un autre niveau.

Il existe d’autres moyens, pourtant. Du coup, il n’est pas essentiel que tout le contenu soit mis dans la même boîte. Le contenu peut facilement être offert en fascicules, en leçons, ou en unités d’enseignement (thèmes, composantes, unité de portfolio, mission, projet, etc.). Des éléments ainsi vendus à la pièce permettraient plus de variété aux enseignants. Et comme il y aurait moins de gaspillage de pages laissées en blanc, cela serait moins onéreux.

Un bon exemple nous en est donné par SciGuides, un nouveau service créé par le National Science Teachers Association (É.-U.). SciGuides offre des leçons à la carte qui intègrent un plan de cours et de formidables ressources en ligne (eSchool News : SciGuides help bring web into instruction). Plutôt que de discourir sur le sujet, vous me serez reconnaissant de vous diriger vers cette présentation multimédia.

Au lieu que de croiser le fer, il serait plus avantageux pour les maisons d’édition québécoises d’unir leurs efforts pour mieux desservir le milieu de l’éducation. Un portail commun, où le matériel serait offert à l’unité, présente plusieurs atouts :

    • attirer les enseignants qui hésitent à se compromettre dans l’achat d’un manuel auquel ils seront irrémédiablement liés pendant des années ;

    • convaincre les administrateurs de l’achat de matériel didactique (le coût étant abordable) ;

    • permettre une plus grande utilisation des ressources en ligne et des TIC ;

    • favoriser l’intégration des TIC en classe ;

    • étendre le marché aux parents qui ne savent guère où trouver du matériel pour aider leurs enfants en difficulté d’apprentissage ;

    • colliger des données informatiques pour mieux déterminer ce qui plaît aux enseignants (voir la théorie du mème).

Voyons plus loin que le bout de notre nez : est-ce que toute la francophonie ne constitue pas un marché plus enviable que seul le Québec ?

Mise à jour (16 avril 2005) : Stephen Downes souligne une autre aberration des manuels scolaires, soit le coût faramineux du processus de révision (The Boston Globe : Publishers disagree text prices are too high).

Mise à jour (16 avril 2005) : Will Richardson y va lui aussi de ses récriminations à l’endroit des manuels scolaires. Son analyse critique est intéressante dans ce qu’elle illustre ce qu’un élève ne peut pas faire avec un manuel imprimé. Ainsi, il ne peut pas …

    • l’annoter ;

    • rechercher l’information ;

    • faire des liens de façon structurée avec des idées ou des concepts afférents ;

    • y avoir accès s’il n’est pas en sa possession ;

    • organiser l’information à l’aide d’un copier-coller ;

    • le partager de façon signifiante ;

    • disposer d’un contenu mis à jour ;

    • traiter l’information ou faire de la mise en page.

Par ricochet :

L’anachronisme du matériel pédagogique

Des « canons » plus que des livres

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